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Pour Costanzo Preve

Né en 1943 dans la province d’Alessandria, Costanzo Preve s’est éteint le 23 novembre 2013 à Turin. C’est un philosophe presque inconnu en France. Un seul de ses livres a été traduit dans notre langue, Histoire Critique du Marxisme (éditions Armand Colin, collection, avec une préface de Denis Collin) Auteur prolixe, « élève de Marx », comme il aimait se présenter, il était à l’écart de toutes les orthodoxies et nous avait donné une analyse décapante du « communisme du XXe siècle ». Grâce à une bourse, il avait étudié à Paris en 1963, y avait suivi les cours d’Hyppolite sur Hegel, fréquenté les althussériens et s’était rapproché de Marx. Il avait également un intérêt soutenu pour les philosophies grecques et allemandes qui influeront profondément sur sa lecture de Marx. Une autre bourse lui permettra de se rendre à Athènes où il soutiendra une thèse en grec moderne sur les Lumières grecques. De retour en Italie, il devient professeur de philosophie au lycée où il enseignera pendant 35 ans. Adhérent au PCI de 1973 à 1975, il va militer ensuite avec divers groupes issus du PC, principalement Democrazia Proletaria. Il cesse l’activité militante quand Democrazia Proletaria se fond dans le PRC(Rifundazione Comunista) en 1991. Il aura souvent des mots très durs pour Bertinotti, le fondateur du PSIUP puis du PRC, dont les errances conduiront en effet ce parti à la désagrégation dans les années 2000.

 

Dans les années 90, son évolution théorique le conduit à abandonner toute référence aux « ismes » et notamment il refuse le « marxisme » et finira par mettre en cause la pertinence de la distinction droite/gauche. Ce qui lui vaudra quelques solides inimitiés, notamment lorsqu’il publiera un papier sur ce sujet dans la revue française Krisis, dirigée par Alain de Benoit… De ces attaques, Costanzo n’avait cure, lui qui regrettait l’incroyable sectarisme, notamment à gauche, qui marque la vie intellectuelle aujourd’hui. C’est d’ailleurs un fait remarquable, plus « la gauche » recule, s’accommode du capitalisme, et même le défend becs et ongles et plus elle devient hargneuse et incapable de dialoguer avec ses adversaires… Des gens qui ont couverts aussi bien les crimes de Staline que ceux de Pol Pot, des gens qui appartiennent au parti de Jules Moch (celui qui envoya l’armée contre les mineurs du Nord) ou de Guy Mollet (l’initiateur de la guerre à outrance en Algérie) voudraient considérer de Benoit comme l’incarnation même du diable ! La position atypique de Preve, son refus du tribalisme d’extrême-gauche expliquent sans doute pourquoi son travail a été occulté en France. En France où pourtant il a gardé quelques amis fidèles et non des moindres : le regretté George Labica ou encore André Tosel qui avait donné une postface à la première édition italienne de la Storia Critica del Marxismo.

Ce qui caractérise la pensée de Preve, c’est la confluence de trois courants. En premier lieu, Marx et ses meilleurs élèves, Lukàcs et l’école de Francfort. En second lieu, la philosophie idéaliste allemande, c’est-à-dire au premier chef Hegel et Fichte. Preve a montré comment toute une partie de la pensée de Marx s’éclairait à la lumière de Fichte. En troisième lieu, la philosophie grecque classique qui reste pour lui presque insurpassable. De là, il en vient à refuser de caractériser la pensée de Marx comme « matérialiste », ce sur quoi je pense qu’il a profondément raison. En tout cas, si on veut continuer à caractériser Marx comme « matérialisme », il faut transformer radicalement le sens de ce mot : Marx n’a rien à voir avec le matérialisme classique, celui notamment des Lumières, dont il prend congé dans les Thèses sur Feuerbach. Preve s’en tient plutôt à l’interprétation de Lukàcs, notamment dans l’Ontologie de l’être social, dont il soutient l’idée d’une genèse social-historique des catégories de la pensée. Preve refuse également de considérer Marx comme une sorte de « collectiviste » et s’il est un reproche qu’il fait à Marx, c’est au contraire d’avoir été trop « individualiste ».

On comprend bien pourquoi cette lecture de Marx conduit Preve à une critique radicale du « marxisme », une construction de la social-démocratie postérieure à Marx. Pour Preve, le marxisme est une idéologie à destination des classes subalternes qui permet leur intégration à la société capitaliste moderne, une société capitaliste qui n’est plus spécialement bourgeoise (voir les analyses développées en commun avec Gianfranco La Grassa dans les années 90) mais qui inclut un capitalisme d’État.

Enfin, de son héritage grec, Preve retient l’importance de la . Les hommes n’existent que dans des communautés déterminées, conformément aux enseignements d’Aristote. Pour Preve, le communisme est nécessairement un « communautarisme », une proposition qui évidemment choque les Français, mais indiqu certainement une ligne à suivre pour qui veut rouvrir une perspective émancipatrice. D’où le refus radical de la « mondialisation », de la standardisation des cultures, de la destruction de la culture humaniste classique à laquelle il est toujours resté attaché.

Si les marxistes et la gauche officielle ignorent Costanzo, il faut tout de même signaler qu’en Italie il a eu des élèves et des disciples qui lui sont fidèles. Parmi ceux-ci, il faut signaler Diego Fusaro, un jeune philosophe qui a déjà un nombre impressionnant de publications et dont j’espère pouvoir publier en France Minima Mercatalia, un livre où de déploient de manière originale les grandes intuitions de Preve.

 
Sur PREVE, j’ai publié :

Préface à l’édition française de l’Histoire critique du marxisme de Costanzo Preve

Marx inactuel I : les communismes

Marx inactuel II. Le communisme historique et les communismes de Marx

De PREVE, j’ai traduit :

Que signifie exactement avoir été un grand philosophe ?

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Ecrit par dcollin le Jeudi 28 Novembre 2013, 10:12 dans "Actualités" Lu 4634 fois. Version imprimable

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