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Quelle laïcité pour quelle république?

à propos d'un livre de Cécile Laborde

Cécile Laborde : Français, encore un effort pour être républicains, Seuil, mars 2010. Avec un titre parodiant le marquis de Sade, le livre de Cécile Laborde promet plus qu’il ne tient. L’introduction annonce une intervention « dont l’intérêt majeur est qu’elle s’inscrit dans un dialogue entre la pensée politique française et la philosophie politique anglo-saxonne » (p.8) mais c’est plus à une confrontation entre deux versions françaises de la laïcité que l’auteure nous convie et nous sommes bien loin d’une dialogue serré avec la philosophie politique anglo-saxonne, d’autant que l’existence d’une chose comme « la » philosophie politique anglo-saxonne est très problématique. Un peu plus loin, elle annonce: « c’est donc une refondation de l’idéal de citoyenneté républicaine que cet ouvrage propose » (p.9). Là encore, c’est très exagéré: il s’agit en réalité d’une tentative d’appliquer le concept de « non-domination » forgé par Philip Pettit à un aspect exagérément grossi du débat en France, celui qui s’est noué autour du port du voile à l’école et de la loi de 2004, débat censé réfracter les clivages fondamentaux du républicanisme français. Oublions donc les promesses non tenues et les exagérations de l’introduction. Ne demandons pas à ce livre d’être une « refondation » de l’idée républicaine. Contentons-nous de l’intervention sur la laïcité et la question du voile – question qui vient de ressurgir bien que dans des termes différents avec la proposition d’interdire le port de la burqa ou du niqab sur la voie publique.

 

Si on s’en tient à la manière dont l’auteure aborde la question laïque, nous ne pouvons que partager globalement son approche. Elle tente de définir une position « républicaniste critique » entre les laïcistes stricts et les partisans d’une « laïcité ouverte » très proches du et de la tolérance. Elle réfute à la fois le paternalisme coercitif des laïcistes stricts qui veulent contraindre les musulmanes à s’émanciper en restant aveugle à la réalité et aux risques d’une domination s’exerçant sur les citoyens ayant des convictions religieuses fortes différentes de la majorité, principalement les musulmans. Mais elle refuse tout autant la position libérale tolérante qui est aveugle à la domination qui s’exerce dans la sphère privée. L’école a bien pour mission, selon Cécile Laborde, d’éduquer à l’autonomie mais elle ne peut le faire par une coercition non justifiée (le devoir de réserve religieuse s’applique aux professeurs mais pas aux élèves), mais par l’effort éducatif. Elle relève également, et à juste titre, que bien souvent le laïcisme est intransigeant avec les musulmans en oubliant combien il a passé de compromis de fait avec les religions instituées ayant une longue tradition en France, principalement la religion catholique – on pourrait ajouter le statut très privilégié dont jouit depuis quelques années le judaïsme.

Bien que souvent très critique vis-à-vis de la tradition « catho-laïque » française, elle reste cependant finalement beaucoup plus proche de celle-ci, de ce qui a inspiré les défenseurs de la loi de 1905, Aristide Briand et Jean Jaurès, que des partisans de la « laïcité ouverte ». On s’en tiendra ici à évoquer les conclusions les plus importantes de ce bref ouvrage. Ainsi à l’encontre des tendances qui veulent faire entrer de plain-pied les religions dans la sphère publique, Cécile Laborde réaffirme : « Dans les sociétés pluralistes contemporaines, il est important de préserver une sphère publique qui soit autant que possible détachée des appartenances religieuses. Telle est la clause principale de la laïcité critique (qui suit sur ce point la laïcité classique). » (p.95) L’État peut parfaitement consulter les représentants officiels des religions quand il doit prendre des décisions les concernant, sans que cela signifie une reconnaissance officielle des religions dans « la sphère commune de la citoyenneté ». Elle poursuit sur cette voie en affirmant que le financement public des écoles confessionnelles lui « paraît contraire au principe de laïcité. » (p.96) C’est pourquoi elle s’étonne que les commissions Stasi et Debré, qui devaient remettre à plat la doctrine de la laïcité ne se sont pas interrogées sur la légitimité de ce financement...

Au-delà de questions strictement religieuses, sont en question les discriminations sociales bien réelles – celles qui frappent en particulier les jeunes issus de l’immigration – et les modes de « l’intégration » des minorités. Là encore le républicanisme critique soutenu par l’auteure, cherche une voie qui écarte le « nationalisme civique aveugle » (p.122) sans tomber dans le postnationalisme multiculturel. « L’enjeu est bien de repenser l’identité nationale elle-même, comme une identité historiquement fluctuante, et considérablement enrichies par les apports des vagues d’immigration successives. » (p. 123) Mais c’est bien d’identité nationale qu’il s’agit, d’un patriotisme civique qui n’oblige pas la minorité à se plier à la majorité et oblige la tout entière à une ré-évaluation critique de sa propre histoire.

Si l’on peut donc suivre l’auteure sur le plan principiel, on lui reprochera toutefois d’avoir laissé de côté la dimension proprement politique et la conjoncture de ce débat qui n’avait rien d’un conflit philosophique entre deux versions du républicanisme. Car la loi sur le port du foulard en 2004 et l’affaire de la burqa aujourd’hui mettent face à face des camps très hétéroclites. Les partisans de la laïcité pure et dure, la « catho-laïque », se recrutent massivement dans le camp d’une droite qui n’a cessé de grignoter les principes laïques au profit de l’école privée, essentiellement catholique. Et le grand défenseur de la laïcité va donc être un président qui exaltait il n’y a pas bien longtemps le sens du sacrifice du curé supposé supérieur à celui de l’instituteur. C’est tout de même très étrange. Inversement, on trouve des « laïcistes » classiques, comme la Libre Pensée et certains courants de la gauche socialiste ou syndicale (FO) qui s’opposent à la loi de 2004 sur le foulard et à toute loi sur l’interdiction de la burqa, estimant qu’il s’agit en fait de discrimination visant uniquement les musulmans (voir l’audition de Marc Blondel devant la commission « ad hoc » de l’Assemblée Nationale). C’est Blondel qui a rappelé les principes libéraux selon lesquels l’État n’a pas à s’occuper de la façon dont les gens s’habillent et c’est encore lui qui rappelait aux censeurs emmenés par le communiste Gérin que la France n’est pas une république athée – toutes déclarations qui vont beaucoup plus dans le sens de la « laïcité critique » de Cécile Laborde que dans celui du laïcisme « classique ».

Car à une discussion sérieuse sur l’application aujourd’hui des principes de la laïcité se sont substituées diverses opérations politiciennes à visées électorales qui expliquent qu’une question aussi mineure que le port de la burqa soit transformée en « urgence nationale ». En rediscutant la question du républicanisme à la française uniquement sous cet angle, on pourrait reprocher à Cécile Laborde de tomber elle aussi dans le piège de cette opération au fond assez nauséeuse où la chasse à l’électeur FN passe avant toute considération de principe. C’est là que le caractère restreint de l’ouvrage devient gênant. Si l’on veut réellement engager la refondation d’un républicanisme critique, il vaut mieux ne pas braquer le projecteur trop exclusivement sur la question laïque, mais s’intéresser aux questions sociales, celles du chômage de masse dans les classes populaires en particulier, et aux nouvelles formes d’aliénations qui sont souvent à l’origine directe des tensions religieuses et des menaces contre le « patriotisme constitutionnel ».

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Ecrit par dcollin le Dimanche 23 Mai 2010, 23:32 dans "Bibliothèque" Lu 5465 fois. Version imprimable

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