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Faut-il combattre un athéisme réactionnaire ?

Je publie ci-dessous le texte de la conférence qu'Aymeric Monville a prononcée en 2007 devant le groupe Marianne de la "Libre Pensée". L'intérêt aussi bien philosophique que politique de ce texte me semble évident, dans est nécessaire le démontage des ces rebelles officiels dont la pratique de la philosophie n'est si éloignée de celle que dénonçait jadis Paul Nizan. Sans partager toutes les thèses de Monville, je dois signaler le travail qu'il fait pour redonner place à tout un plan de la tradition issue de Marx qu'on occulte trop souvent. Signalons la publication du chapitre central de "La destruction de la raison" de Georges Lukacs, consacré à Nietzsche, aux éditions  Delga (Chez cet éditeur on peut aussi trouver les Prolégomènes à l'ontologie de l'être social du même Lukacs).
Le texte d'Aymeric Monville publié dans Les libres pensées de Marianne n° 29 (juillet 2008), bulletin du groupe Marianne de La Libre Pensée, 10 rue des Fossés Saint Jacques - 75005 PARIS". Que mes amis du groupe Marianne soient encore remerciés.
Denis COLLIN



Mesdames et Messieurs,

 

J’ai eu le plaisir d’évoquer en juin dernier dans La Raison les impasses auxquelles conduit, selon moi, l’ nietzschéen[1]. Cet article voulait susciter et a effectivement suscité une polémique. La conférence de ce soir a pour but de permettre de débattre de ces questions, et d’élargir au thème : « Faut-il combattre un réactionnaire ? ». Je remercie donc les personnes qui l’ont organisée mais aussi celles qui ont bien voulu me faire part de leurs remarques, y compris dans les colonnes de La Raison.

Comme vous l’aurez noté, le titre même de mon intervention prétend continuer dans la même veine. Mais j’aimerais souligner que par-delà la nécessité d’une confrontation de pensées, je n’ignore pas l’urgence d’un combat commun pour la chose publique, la République. Au moment où viennent de passer les lois sur la prise d’ADN pour les candidats au regroupement familial, alors que nous assistons à un saccage de l’éducation nationale pour tous, de la santé pour tous, la République n’a jamais autant nécessité l’union des forces. En matière plus précise de laïcité, il y a tout lieu de s’inquiéter d’un Sarkozy qui vante les mérites de la communautarisation à l’américaine et n’hésite pas dans son livre La République, les religions, l’espérance à proposer de faire assumer par l’Education nationale la formation des prêtres, pasteurs, rabbins, imams[2]. D’autant plus que l’offensive contre la laïcité s’organise aussi au niveau européen. On a ainsi voulu inscrire dans la constitution européenne l'obligation d'un dialogue régulier entre les autorités confessionnelles et les États.

Aujourd’hui, de nombreuses luttes restent à mener : la défense de la loi de 1905 dite de séparation des Eglises et de l’Etat et l’application stricte de son article 2, l’abrogation des régimes concordataires en Alsace-Moselle et en Outremer, l’abolition des lois de 1941 et 1942 et des autres lois antilaïques. Des initiatives comme la suppression du nom de « Jean-Paul II » sur la place du parvis Notre-Dame, ou la manifestation contre le financement public de la venue du pape en 2008 sont également fondamentales. Et défendre la laïcité amène aussi à prendre position sur des sujets aussi divers que l’enseignement de la philosophie dans les lycées. C’est un combat de longue haleine, et l’on ne peut défendre la République les uns contre les autres.

Mais attention par ailleurs à ce que l’unanimisme républicain peut avoir de pervers, dans une société où les contradictions sociales et politiques sont plus que jamais exacerbées. L’union dans la lutte n’est pas l’union sacrée. Je ne voudrais donc pas qu’on gomme un certain nombre de divergences, qui rendent le débat fécond. Des libres penseurs pourraient-ils d’ailleurs déserter ce débat ? 

Qui sont les dogmatiques ?

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aborderai en préambule un point de méthode portant sur la différence entre le dogmatisme et l’esprit scientifique. Je me suis vu reprocher dans une réponse[3] à mon article, de faire preuve de dogmatisme et de pratiquer l’excommunication. Mon contradicteur en appelait a contrario à « la concertation et l’échange contradictoire mais constructif d’idées ». Outre le fait que je conteste naturellement cette attribution des rôles, je ne considère pas ces principes invoqués comme allant de soi. Je souhaite moi aussi un échange contradictoire, et si possible dans la courtoisie nécessaire à son bon déroulement. En tant que marxiste, je prône une pratique scientifique propre à soumettre ses énoncés à une réfutation argumentée. Mais la revendication d’une pratique scientifique n’exige pas que tout échange soit automatiquement constructif en soi. Au contraire. Si je choisis de polémiquer contre l’ nietzschéen d’un point de vue marxiste, je mets volontairement en parallèle deux pensées qui s’excluent, qui s’affrontent, qui prétendent se réfuter l’une l’autre. Puisque ce sont deux pensées se déclarant athées, force est de constater qu’une contradiction traverse également la pensée athée. Contradiction dont les enjeux sont tels qu’on ne peut la passer sous silence.

 

Intérêt du marxisme

Je n’oblige personne à être marxiste. J’ai simplement tenté d’ébaucher dans cet article quels avantages il y a à penser d’une manière un tant soit peu marxiste le combat contre l’obscurantisme. Et surtout à quels écueils l’on s’expose lorsqu’on rejette a priori cette forme de pensée. Si Marx lui-même, ou des marxistes au cours du temps, ont pu se tromper sur tel ou tel point, le marxisme permet une analyse, matérialiste, dialectique et historique, dont les présupposés n’ont jusqu’à présent pas été scientifiquement invalidés.

Certes, l’analyse rationaliste du phénomène religieux n’est certainement pas née avec Marx. Elle part sans doute de Spinoza, on en trouve des traces chez Hume, chez Bayle par exemple. Je laisse la question aux spécialistes. Mais j’insiste néanmoins sur la spécificité d’un marxiste car le marxisme implique un changement qualitatif par rapport à la tradition des Lumières. Changement qui s’opère en fait dès Hegel. Je cite Engels : 

« La conception qui régna depuis les libres penseurs du Moyen Âge jusqu’aux philosophes des Lumières du XVIIIe siècle inclus, et qui faisait de toutes les religions, et donc du christianisme également, l’œuvre d’imposteurs, était insuffisante, depuis que Hegel avait fixé pour tâche à la philosophie de montrer que l’histoire universelle obéissait à une évolution rationnelle. […] On n’en a pas fini avec une religion qui s’est soumis le monde romain et a dominé pendant 1800 ans la plus grande partie, et de loin, de l’humanité civilisée, en se bornant à déclarer que c’est un tissu d’absurdités fabriqué par des imposteurs. On n’en vient à bout que si l’on sait expliquer son origine et son développement à partir des conditions historiques existant au moment où elle est née et où elle est devenue religion dominante. […] Il s’agit précisément de résoudre la question de savoir comment il a pu se faire que les masses populaires de l’empire romain préférèrent à toutes les autres religions cette absurdité prêchée de surcroît par des esclaves et des opprimés, jusqu’à ce que l’ambitieux Constantin finit par considérer que confesser cette religion de l’absurde était le meilleur moyen de parvenir à régner sans partage sur le monde romain. »[4]

 C’est donc au nom de ces principes méthodologiques que les marxistes s’opposent à un bourgeois parce qu’effectivement prôné tendanciellement par la bourgeoisie et qu’on qualifie parfois de « voltairien » (même si Voltaire était déiste et plus aristocratique que bourgeois), dont la caractéristique fondamentale est d’être anhistorique. De même qu’ils rejettent une troisième tendance pouvant être dite nietzschéenne qui, tout en conservant le mode de production capitaliste, remet également en cause les principes rationalistes de la bourgeoisie des Lumières, principes qu’au contraire le marxisme ne contredit pas mais cherche à étoffer.

Ces familles de pensées que je viens d’évoquer n’empêchent nullement les particularismes voire les conflits en leur sein, mais restent des jalons importants. A tel point qu’elles trouvent leurs analogies parfaites au niveau philosophique plus général. En effet, nous rencontrons fondamentalement : 1) des pensées non philosophiques (dogmatiques, religieuses) apparues avant le mode de production capitaliste, 2) des pensées rationalistes liées à l’apparition de ce mode de production : cartésianisme, kantisme, empirisme, etc. 3) la pensée marxiste, s’appuyant sur les acquis du précédent rationalisme, mais s’en distinguant par l’importance qu’elle accorde à la dialectique et à l’histoire ; principes au nom desquels le marxisme en vient à faire une critique de l’économie politique ; or, pour sauvegarder cette économie politique, la bourgeoisie déclenche toute sorte de garde-fous contestables au niveau scientifique (positivisme scientiste, pragmatisme, sociologisme, néo-kantisme, etc.), 4) enfin, un autre courant, lié à l’apparition du stade impérialiste dans le capitaliste, témoigne d’un retour agressif à l’idéologie prérationelle (les représentants principaux en sont Nietzsche et Heidegger).

Tout penseur contemporain, qu’il le veuille ou non, qu’il le sache ou pas, s’inscrit dans l’un de ces grands courants de pensées. Ou bien s’il prétend chevaucher ces différences, c’est au prix d’une grande incohérence. C’est d’ailleurs le cas d’un Michel Onfray qui tantôt se revendique d’un rationalisme antémarxiste, tantôt se dit nietzschéen, tout en se positionnant à gauche.

 Un nietzschéen ?

 

J’évoquerai même une autre forme de contradiction. Se dire athée et nietzschéen ne va pas forcément de soi. On attribue à Nietzsche la paternité philosophique du terme « Dieu est mort ». J’ai rectifié cette erreur. C’est Hegel qui a écrit cela dans la Phénoménologie de l’esprit. J’insiste sur cette confusion parce que, si elle est si répandue, c’est qu’elle témoigne d’une idéologie : Nietzsche serait le penseur athée par excellence.

Par exemple, Georges Lukács, qui est, à mon avis, le philosophe marxiste le plus important après Marx, Lénine et Gramsci, remet en cause le caractère athée de la pensée de Nietzsche. Dans le chapitre consacré à Nietzsche de son livre La Destruction de la raison, que j’ai récemment retraduit et préfacé[5], il qualifie plus précisément le nietzschéisme d’« religieux » dont la

 « fonction est de satisfaire les besoins religieux des couches qui ont rompu avec les religions positives, éventuellement sous la forme d'une polémique très vive contre celles-ci, pour que les adeptes de cet religieux puissent avoir l'illusion de prendre une attitude indépendante, non-conformiste, voire révolutionnaire ; mais en même temps, cette attitude sauvegarde la religiosité si nécessaire au maintien de la société capitaliste. »

« Il s’avère […] que Nietzsche transforme sa philosophie athée en un my­the. […] Un passage célèbre du Gai savoir annonce que Dieu est mort et que les hommes l'ont assassiné. Cela signifie qu’autrefois il y avait un Dieu et que ce n'est seulement qu’aujourd'hui qu'il n'existe plus. Il s’avère explicitement que l' pour Nietzsche n'est pas une conséquence de l'in­conciliabilité entre l'idée de Dieu et l'image du monde que nous nous forgeons scientifiquement […] Bien au contraire, le comportement moral des hommes de notre époque exclut l'existence de Dieu, alors que jusqu'ici celui-ci s’harmonisait avec celle-là et y trouvait même un soutien ; façon pour Nietzsche d’évoquer le long règne de la morale d'esclaves (le christianisme). L' de Nietzsche tend donc explicitement à chercher son fondement exclusif dans l'é­thique, laquelle est chez lui, comme nous l’avons vu, une phi­losophie à la fois de l'histoire et de la société. Nietzsche le dit parfois très clairement : La réfutation de Dieu : à vrai dire, ce n’est que le Dieu moral qui se trouve réfuté. »

On verra comment Michel Onfray, évacuant sa dimension scientifique, réduit lui aussi l’ à une éthique, d’ailleurs d’un subjectivisme idéaliste extrême. Mais n’anticipons pas ! Citons toujours Lukács :

 « On peut lire dans les brouil­lons de Zarathoustra : Vous parlez du déchirement de Dieu par lui-même : il ne s'agit là que de sa mue ; il se dévêt de sa peau morale ! Et vous allez bientôt le revoir, par delà le bien et le mal. Plus tardivement, on lit dans La Volonté de puissance : Encore une fois : combien de nouveaux Dieux sont encore possibles ! Certainement, Nietzsche exprime ici ses doutes personnels au nom de Zarathoustra : ce dernier serait simplement un athée d'un modèle ancien, qui ne croit ni aux anciens, ni aux nouveaux Dieux. Il conclut néanmoins ce développement sur ces mots : un genre de Dieu, celui des esprits créateurs, des “ grands hommes ”. Ces simples remarques montrent clairement la teneur et le contenu historique de l' de Nietzsche. D'autre part, dans ses derniers écrits, l'adver­saire qu’il oppose au christianisme et au crucifié, n'est pas le monde libéré de tout Dieu. Ce n’est pas l’ ou en tout cas pas seulement celui-ci ; c'est aussi le dieu nouveau, Dionysos. »[6]

            J’ai évoqué ce qui pour un marxiste pose problème dans l’ nietzschéen. Analysons maintenant ce que ce dernier reproche aux marxistes ! La réponse à mon article publiée dans les colonne de La Raison évoquait une objection possible, en reconnaissant à Onfray le mérite d’« essayer de dépasser le seul raisonnement qui fait du fait religieux un simple outil historique d’asservissement d’une classe par une autre (probablement «marxistement» vrai, mais très réducteur en ce qui concerne la globalité du fait religieux). » Je répondrai d’abord que prendre en compte les contradictions politiques qui traversent les questions idéologiques, ce n’est pas opérer une réduction mais au contraire, élargir notre compréhension. Mais l’on ne saurait de toute façon réduire le marxisme à une seule idée phare. Onfray est lui-même coutumier du fait puisqu’il déclare souvent que le marxisme réduit le conflit social à deux classes, bourgeoisie et prolétariat. C’est fondamentalement ne pas avoir lu Marx. Certes cette contradiction bourgeoisie / prolétariat, portant sur le rapport capital / travail et la question de qui détient les grands moyens de production et d’échange, reste majeure. Mais elle ne saurait effacer les particularités sociales. Dans Les Luttes de classe en France par exemple, Marx mentionne toute une foultitude de groupes sociaux. La seule notion de Lumpenproletariat, qui devrait tout de même être un peu connue d’Onfray, contredit cette vision schématique du marxisme.

Mais pour revenir à ce qui nous préoccupe ce soir, à savoir la critique marxiste de la religion, on croit, de par un autre réductionnisme, tout en connaître lorsqu’on cite : « la religion, c’est l’opium du peuple » de la Critique de la philosophie du droit de Hegel. Ce texte se voulait, il est vrai, définitif. Marx y disait que la critique de la religion en Allemagne était désormais achevée. Il avait raison en ce sens que les présupposés scientifiques pour une critique de la religion étaient effectivement disponibles alors.

Il n’empêche que l’on peut continuer cette critique, même si c’est avec fondamentalement les mêmes outils. C’est ce qu’ont fait d’ailleurs Marx et Engels. Par exemple, la Contribution à l’histoire du christianisme primitif que la mort d’Engels a laissé malheureusement inachevée, mais aussi La Guerre des paysans, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie allemande, les articles d’Engels sur « L’apocalypse » et « Bruno Bauer et le christianisme primitif » et, bien sûr, les passages sur la religion dans Dialectique de la nature, L’Anti-Dühring etc. Par exemple, dans une lettre à Mehring de 1893, Engels signale que la lutte pour expliquer la vision du monde marxiste l’a souvent amené à privilégier l’analyse économique au détriment du rôle que jouent les idéologies.

Il faut comprendre en tout cas que des questions nouvelles nous sont perpétuellement posées, et qu’elles n’ont cessé de se poser depuis la mort de Marx, avec le développement du mouvement ouvrier. Si l’attirail philosophique disponible pour tenter d’y répondre reste sensiblement le même, à moins de croire à chaque fois qu’on invente l’eau chaude, les questions restent ouvertes.

C’est pourquoi je parle de marxisme et non simplement d’esprit marxien. Le mouvement ouvrier est passé depuis deux siècles par un long processus d’apprentissage dont il faut tenir compte, sans forcément vouloir chercher toutes les réponses chez Marx lui-même. Je n’ai d’ailleurs pas cité Lukács par hasard.

 

Onfray inutile et incertain

 Voyons donc maintenant plus précisément ce qu’un marxiste pourrait reprocher à Onfray. D’abord pourquoi s’acharner sur Michel Onfray, s’il s’avère, comme je l’ai suggéré, que ce livre est défectueux ? Parce que le succès du livre (200 000 exemplaires vendus), sans comparaisons avec les autres tirages du même auteur, dix fois moins importants[7], montre qu’il a trouvé là un public plus large, un véritable courant d’opinion. Ignorants donc en bonne partie ses autres ouvrages, les lecteurs du Traité d’athéologie ne partagent pas, loin s’en faut, toutes les options politiques et philosophiques de l’auteur et ne sauraient être confondus avec lui. Ils témoignent en réalité d’une attente à laquelle les marxistes ne peuvent se dérober en faisant la fine bouche.

Je ne suis pas le seul à critiquer Onfray sans ambages. On peut citer Antoine Casanova, le directeur de la revue La Pensée. Lui aussi a fustigé l’inculture abyssale d’Onfray, son ignorance complète des travaux d’histoire sociale des courants religieux et souligné sa convergence avec les courants réactionnaires : 

 « Les courants religieux historiquement connus ne sont pas des entités transcendantes fixes, immuables, d’essence(s) étrangère(s) aux tensions, aux enjeux sociaux, politiques, idéologiques et idéo-théologiques comme le croient et le disent les théologiens conservateurs.

Cette attitude est parfois encore aujourd’hui le fait d’anticléricaux dont l’attitude (telle celle de Michel Onfray) ignore profondément les approches et la compréhension critique des courants religieux conduits en termes de rationalisme historique moderne, un rationalisme appuyé sur l’histoire sociale. C’est en cela qu’une pareille attitude converge (inconsciemment mais profondément) avec les discours des idéologues et dirigeants religieux utlra-conservateurs aveugles devant des réalités historiques pourtant massives. Entendons l’existence de courants religieux aux contenus idéologiques et théologiques, éthiques et politiques profondément contrastés et même violemment opposés. »[8]

    Par ailleurs, je maintiens mes accusations formulées dans mon premier article. J’ai d’abord mis en cause la rhétorique employée par Onfray, le « ton » du livre, très imprégné du vocabulaire propre au réductionnisme biologique, à la rhétorique néofasciste : le christianisme « contamine l’Univers » ; il s’agit d’une « épidémie mentale »[9]. Ou encore, sur Paul de Tarse : « Partout il contamine. Bientôt la maladie de Paul gagne le corps entier de l’Empire. »[10]… On ne peut pas utiliser n’importe quelle rhétorique et n’importe quelle métaphore. Car une rhétorique porte en elle-même une vision du monde, ici le réductionnisme biologique, la peur de la contamination, le fantasme de la pureté de sinistre mémoire. Je sais bien que ni Onfray ni ses lecteurs ne sont des fascistes déclarés. J’admets chez Onfray le lapsus calami. Mais il me semble qu’il ferait bien de surveiller son langage. D’autant que celui qui formule si alertement la thèse : « Hitler disciple de Saint-Jean », tout en se disant nietzschéen doit donner pas mal de gages pour qu’on ne lui rétorque pas : « Hitler disciple de Nietzsche », filiation qui elle, semble beaucoup plus naturelle. Ces gages, Onfray n’en donne pas suffisamment, y compris, on le verra, lorsque il qualifie de scientifique un livre ultra-raciste comme la Généalogie de la morale. De même attribuer aux Juifs le « premier génocide » est un procédé controuvé et de très mauvais goût, pour ne pas dire pire. Personne n’ignore que les Juifs sont persécutés depuis deux millénaires par les chrétiens pour un prétendu « meurtre originel ». N’allons pas parler de « génocide originel » surtout pour un peuple victime lui-même d’un génocide.

Par-delà ces propos plus ou moins malheureux, il y a en tout cas lieu de critiquer une filiation de pensées entre Onfray et la nouvelle droite qui, si elle n’est pas revendiquée, n’en est pas moins présente. Je me suis vu reproché, toujours dans la réponse à mon article, de faire « dire à M. Onfray qu’il regrette le paganisme, à propos de Julien qui est simplement donné en exemple de l’intolérance originelle des chrétiens vis-à-vis de leurs contradicteurs ». Je maintiens mes propos. Si M. Onfray parle dans son livre de « Julien, le héros du paganisme qui résiste contre la christianisation de l’Empire, en vain malheureusement »[11], il exprime bel et bien un jugement de valeur, en l’occurrence un regret. Je sais bien qu’un Onfray n’est pas un adepte de tel ou tel culte païen. Mais je ne sache pas que Nietzsche ou Alain de Benoist (pour citer l’inspirateur principal et l’animateur du courant de la « nouvelle droite » à laquelle je comparais précisément Onfray) aient été eux aussi adeptes de tel ou tel culte, même de celui de Dionysos. Le point commun à ces courants de pensée, outre leur référent nietzschéen commun et leur positionnement antimarxiste, est leur préférence affichée pour l’époque païenne au détriment du christianisme, préférence qui ne se présente pas comme la défense d’un culte contre un autre, mais d’une civilisation contre une autre.

Croire d’ailleurs qu’on peut opposer franchement ces deux civilisations, ne témoigne pas que d’un choix possible parmi d’autres mais d’une erreur de fond. Depuis Bruno Bauer, on sait que le christianisme n’est pas un apport judaïque complètement étranger à Rome ou Alexandrie mais est aussi le produit de la civilisation romaine.

 

Un non scientifique ?

 Autre caractéristique typiquement nietzschéenne : le rejet de l’analyse scientifique. Onfray prône en effet une laïcité hors d’une référence à une méthode scientifique, pire qui « abolirait la référence scientifique ». Texto : « un postmoderne [qui] abolit la référence théologique, mais aussi scientifique, pour construire une morale. Ni Dieu ni la Science, ni le Ciel intelligible ni l’agencement de propositions mathématiques, ni Thomas d’Aquin ni Auguste Comte ou Marx. »[12] Or qu’est-ce qu’un moral non-scientifique, non fondé scientifiquement, sinon un nouveau dogme ? Lutter contre l’obscurantisme, contre le dogme, libérer les esprits, voilà la tâche des libres penseurs. Sans référent scientifique, comment prôner l’ autrement que par la contrainte ? Si Onfray prône une morale, c’est une morale de la contrainte, dogmatique. Or le présupposé de la philosophie, depuis Socrate, est de chercher à définir une éthique non sur un dogme mais en accord avec un savoir.

J’admets certes qu’Onfray peut parfois se revendiquer de la science, mais là encore sous le mode de la contradiction. En effet, dans le passage suivant, il invoque la science, la pensée rationnelle :

« En mettant à égalité toutes les religions et leur négation, comme y invite la laïcité qui triomphe aujourd’hui, on avalise le relativisme : égalité entre la pensée magique et la pensée rationnelle, entre la fable, le mythe et le discours argumenté, entre le discours thaumaturgique et la pensée scientifique, entre la Torah et le Discours de la méthode, le Nouveau Testament et la Critique de la raison pure, le Coran et la Généalogie de la morale. »[13]

 Mais ce passage même pose problème. En effet, mettre Nietzsche du côté de la pensée rationnelle et scientifique est inadmissible. En effet, dans La Généalogie de la morale, livre qu’invoque Onfray, Nietzsche voit dans la Révolution française un complot juif.  Il écrit :

 « Dans un sens plus décisif, plus radical encore, la Judée remporta une nouvelle victoire sur l'idéal classique, avec la Révolution française : c’est alors que la dernière noblesse politique qui subsistait encore en Europe, celle des dix-septième et dix-huitième siècles français, s'effondra sous le coup des instincts populaires du ressentiment, – ce fut une allégresse immense, un enthousiasme tapageur comme jamais on n'en avait entendu sur la terre ! » [14]

 Dans le même ouvrage, Nietzsche souscrit pleinement aux délires racistes, voyant dans les aryens une race de maîtres :

« [En Europe] la race soumise a fini par y reprendre la prépondérance, avec sa couleur, la forme raccourcie du crâne, peut-être même les instincts intellectuels et sociaux : – qui nous garantit que la démocratie moderne, l'anarchisme encore plus moderne et surtout cette prédilection pour la Commune, la forme sociale la plus primitive, que partagent aujourd'hui tous les socialistes d'Europe, ne sont pas dans l’essence, un monstrueux effet d’atavisme – et que la race des conquérants et des maîtres, celle des aryens, n’est pas en train de succomber, même physiologiquement ?... » […]

« Ce sont ces “héros” des instincts d'abaissement et de représailles, héritiers de tout ce qui en Europe ou ailleurs était né pour l'esclavage, de tous ces résidus d'éléments préaryens en particulier – ce sont eux qui représentent le recul de l'humanité ! Ces “instruments de la culture” sont la honte de l'homme, ils font mettre en suspicion la “culture” même et fournissent un argument contre elle. Il se peut qu’on ait parfaitement raison de ne pas cesser de craindre la brute blonde qui est au fond de toutes les races aristocratiques et de prendre garde à elle, mais qui n'aimerait pas cent fois mieux trembler de peur s'il peut admirer en même temps, que de n’avoir rien à craindre, mais d’être submergé de dégoût au spectacle de l’abâtardissement, du rapetissement, de l’étiolement, de l’intoxication duquel l’œil ne peut se détourner ? »

    J’ai eu l’occasion de m’exprimer dans un ouvrage sur le retour de Nietzsche par la gauche[15]. J’ai voulu montrer que le point commun de tous les nietzschéismes, c’est leur anti-marxisme, et qu’ils constituent, de droite comme de gauche, la sape des remparts républicains, de la possibilité d’une action collective, du principe d’égalité entre les hommes, et de l’idée de progrès fondée sur la raison. J’ai eu également l’occasion de démonter dans l’ouvrage cette légende visant à dire que Nietzsche a dit tout et son contraire, comme le prétend pourtant Derrida. Car Nietzsche n’a dit nulle part qu’il prônait le socialisme, l’éducation pour tous, l’abolition de l’esclavage, l’éradication du racisme. On peut certes me rétorquer qu’Onfray qui se dit nietzschéen ne prône pas cela non plus. Précisément. Il prône un nietzschéisme de gauche. Ce qui revient à croire à l’existence de cercles carrés. L’éclectisme incohérent d’Onfray le disqualifie d’emblée. D’autre part, Onfray qui se dit rationaliste, ne peut pas être nietzschéen. C’est une contradiction puisque Nietzsche remet en cause la notion de vérité.

En fait, Nietzsche prônait un véritable obscurantisme, qui rappelle l’obscurantisme religieux. Petit florilège : 

Zarathoustra : « Que chacun ait le droit d'apprendre à lire, cela gâte à la longue non seulement l’écriture mais encore la pensée. » ; Par-delà le bien et le mal : « Qu'un jugement soit faux n’est pas à nos yeux une objection contre ce jugement […] Il s’agit de savoir dans quelle mesure un jugement aide à la propagation et à la conservation de la vie, à la conservation, peut-être même à l’amélioration de l’espèce» ; Le Livre du philosophe : « les vérités sont des illusions dont on a oublié qu'elles le sont, des métaphores qui ont été usées et qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaie qui ont perdu leur empreinte et qui entrent dès lors en considération, non plus comme pièces, mais comme métal. » ; Par-delà le bien et le mal encore : « Seule la naissance ouvre l’accès à tout un monde supérieur ; en termes plus précis, il faut avoir été formé et façonné par une longue sélection : on n’a droit à la philosophie – au sens large du mot – qu’en vertu de ses origines. »

 

Contre le réductionnisme religieux

 Mais au-delà de son nietzschéisme, l’ « athéologie » d’Onfray est avant tout un refus de penser le phénomène religieux, c’est-à-dire de le penser socialement. Onfray, contrairement aux marxistes, est incapable de faire une critique dialectique de la religion qui aille à la racine, à partir d’une lecture historique, sociale et anthropologique des religions. D’où d’ailleurs sa tendance à surestimer le facteur religieux. Je constate que depuis le 11 septembre, la géopolitique n’a jamais été tant analysée en termes de choc des religions ; l’américanisation de la politique française, conduite entre autres par Sarkozy et l’Union européenne, débouche sur l’ethnicisation et la communautarisation des enjeux politiques. Ce sont souvent les religieux qui opèrent un réductionnisme au fait religieux. On ne s’opposera pas à la Saint-Barthélémy qu’on nous prépare en proposant simplement de former je ne sais quelle brigade athée d’intervention, mais en rejetant le principe même de guerre de religions au nom de la laïcité.

Autre exemple de cette surestimation du fait religieux au détriment du politique :  Onfray nie par exemple qu’un mouvement d’émancipation puisse être religieux, ce qui est pourtant attesté historiquement, notamment à des époques ou des endroits où la contradiction politique s’exprime de manière religieuse. Pour citer Antoine Casanova,

« Le livre de M. Onfray réduit ainsi le complexe et contradictoire ensemble historique chrétien aux courants dominants, réactionnaires et despotiques liés à l’ordre établi. Il ignore totalement les mouvements chrétiens (aux bases populaires) de protestation, de critiques, de luttes contre l’ordre dominant féodal et/ou capitaliste. Des mouvements rudement combattus et réprimés par les politiques et les théologiens conservateurs, et notamment par le Vatican : mouvements du Bas-Empire, du Moyen Âge, du XVIe siècle, et aussi aux XIXe et XXe siècles en Europe, en Asie, en Amérique. Le livre ignore également les chrétiens de libération d’Amérique latine aujourd’hui avec des hommes (par ailleurs différents) comme Mgr Helder Camara, Mgr Romero, archevêque du Salvador (assassiné en 1980), le colonel Chavez, le bolivien Morales, ou les militants brésiliens des communautés ecclésiales de base. »[16]

    J’estime pour ma part nécessaire de combattre l’emprise religieuse en tous lieux et en tous temps. Mais je n’ignore pas un certain nombre de priorités. J’ai par ailleurs plus de sympathie pour les mouvements précités que pour la vision du monde qu’exprime un athée comme Sade par exemple. Certes, lorsque Hugo Chavez fait le signe de croix après le passage de Bush à l’ONU, j’estime qu’il rentre inconsciemment dans la même logique de diabolisation et de croisade que son adversaire partant en guerre au nom de Dieu contre « l’axe du mal ». En revanche, je vois bien qu’il y a un processus révolutionnaire en cours au Venezuela. Et je choisis mon camp, trouvant la question religieuse secondaire. Dans cette même logique, je ne vais pas soutenir le parti kémaliste en Turquie sous prétexte qu’il est laïque. Là encore, la contradiction politique passe par l’. Et l’ ne saurait à lui seul constituer une politique.

Qui plus est, le combat contre l’emprise de l’Eglise est lui-même subordonné au combat politique plus général. A ce propos, L’Idée libre, revue de la Libre pensée, a publié un numéro essentiellement critique sur la question de la main tendue par Maurice Thorez aux chrétiens, numéro qui pose à mon avis plus de problèmes qu’il n’en résout. La conclusion à laquelle tend l’ensemble des articles voit la « main tendue » comme s’inscrivant dans une stratégie de front populaire, soumise à une politique de défense de l’URSS, visant à « convaincre les forces de la bourgeoisie qu’une alliance militaire face à la menace de l’Allemagne nazie peut se réaliser sans menacer en rien la propriété privée, les banques et l’Eglise. »[17] Si l’on admet par hypothèse ces conclusions, je dis bien par hypothèse, celles-ci ne suffisent pas en soi à condamner la politique de « main tendue ». Quand on sait le prix qu’a dû payer l’Union soviétique dans la lutte contre le fascisme, la stratégie consistant à privilégier la défense de l’URSS au détriment temporaire des travailleurs français (dont le sort dépendait alors par ailleurs de la survie de l’Union soviétique), la politique de la « main tendue » ne me semble pas scandaleuse. En tout cas le débat se situe ici non sur la question de la lutte ou non contre l’Eglise mais sur la défense ou non, et dans quelle mesure, de l’Union soviétique. Débat qui nous ramène à des clivages politiques fondamentaux, à propos desquels chacun doit pouvoir se prononcer sereinement, mais qui dépassent de très loin la question religieuse. En ce sens, la lettre du texte d’Engels, qu’invoquait Thorez et dont la revue contestait l’interprétation, ne nous aidera guère pour résoudre un problème posé de façon nouvelle et plus globale.

            De la même manière, pour prendre un autre exemple, je trouve dangereux de prôner un droit à mourir dans la dignité, non en soi et en tout temps, mais aujourd’hui, en pleine casse de la sécurité sociale. Car, après les morts de la canicule, je n’ose m’imaginer tous les « euthanasiés » d’office sous prétexte qu’on ne veut plus les soigner ou qu’on veut réduire le trou de la sécu, trou de la sécu soit dit en passant creusé en fait par les exonérations patronales. En tout cas la revendication d’un droit à mourir dans la dignité ne peut être découplée de celle d’un droit aux soins. Ce qui montre qu’une revendication émanant au départ d’un combat religieux ne saurait se limiter à un point de doctrine. Car elle doit, pour être efficace, s’inscrire dans une pratique politique large.

Il y a certes un retour spécifique du « religieux » et les attaques contre la laïcité sont plus fortes que jamais. Mais c’est bien précisément la raison pour laquelle il faut se battre, contrairement à ce qu’affirme Onfray, à partir de la laïcité républicaine qui nous offre un cadre accepté par des millions de Français. C’est le reflux temporaire du mouvement ouvrier qui permet aujourd’hui ce retour du religieux, pas le manque de vigilance des athées.

 

 Un non républicain ?

 Mais revenons à Onfray. Au-delà du ton du livre ou de son climat idéologique dont je comprends parfaitement que les enjeux aient pu échapper à certains lecteurs, c’est de la « vision du monde » de M. Onfray dont je voudrais parler. Dans une réponse à mon article, mon contradicteur reconnaissait à Onfray le mérite de mener « la recherche du développement d’une éthique athée qui ne se référerait plus à la permanence d’une sociologie judéo-chrétienne (jusqu’ici implicitement admise comme le fondement de notre civilisation) et ce, en essayant de dépasser la simple lutte contre l’emprise des religions (principalement le catholicisme) qui a été le combat majeur (certes méritoire) de la quasi-totalité des athées des XIXe et XXe siècles et qui, nous devons le reconnaître, reste encore un peu trop exclusivement le nôtre, nous la Libre Pensée. » Mon contradicteur me demandait ensuite d’aller relire la dernière page du Traité d’athéologie, où Onfray s’en prend à Henri Pena-Ruiz.

Dans le texte, au nom d’une « pensée laïque post-moderne, donc post-chrétienne », Michel Onfray reproche à Henri Pena-Ruiz, de prôner une « définition Troisième République de neutralité tolérante », de défendre à la foi « les valeurs républicaines, une politique de justice sociale, un espace public réel » et « le monothéisme qui les contredit essentiellement »[18]. Il s’agit donc selon Onfray, de défendre moins la liberté de conscience que la volonté d’émancipation du projet religieux. Or, à mon avis, le second terme présuppose le premier, même si je reconnais bien volontiers que l’inverse n’est pas valable. On ne peut chercher à imposer l’ par l’interdiction des religions. Un ne peut être imposé dogmatiquement. C’est une contradiction dans les termes. Il n’y a d’ailleurs existé qu’un seul Etat au monde qui se soit déclaré athée : l’Albanie d’Enver Hoxha. Les autres Etats où des marxistes étaient au pouvoir se sont toujours dits laïques.

Mais comment faire comprendre la nature d’un Etat et surtout de notre République à un M. Onfray, dont l’individualisme nietzschéen le plonge dans une perpétuelle confusion entre le plan individuel et le plan collectif. Car à l’influence du nietzschéisme s’ajoute chez Onfray celle de l’idéologie gauchiste de mai 68, si tant est que cette dernière n’est pas un avatar nietzschéen. Quoi qu’il en soit, ces présupposés le rendent incapable de se placer au niveau de l’universel, défini par la raison et l’intérêt général, de comprendre la différence de nature entre le privé et le public : pour preuve, dans son Antimanuel de philosophie, il enjoint plus ou moins ironiquement aux élèves de se masturber dans la cour du lycée, sous prétexte que la masturbation n’est pas un crime.[19]

Ce volontarisme subjectiviste et spontanéiste n’est pas anecdotique chez Onfray. Il ne laisse pas d’inquiéter. Surtout lorsque Onfray, prônant « une heuristique de l’audace [qui] envisage frontalement, sans les condamner a priori, les questions gênantes qui se posent à notre époque post-moderne », inclut l’eugénisme dans ces « questions gênantes ».[20]

 

Contre l’ réactionnaire

Cet prétendu radical, en se coupant du socle sur lequel se construit la laïcité républicaine en France (sécularisation, liberté de conscience, égalité des croyances) sous prétexte d’échappées « post-modernes », ne radicalise en réalité que son impuissance. Ce n’est pas parce que la loi de 1905 a plus d’un siècle qu’il faut s’en débarrasser sous prétexte de modernisme ou de post-modernisme. Post-modernisme qui n’est d’ailleurs qu’un terme à la mode des tenants de la prétendue fin de l’histoire capitaliste.

Fin de l’histoire capitaliste à laquelle Onfray souscrit d’ailleurs pleinement. Il l’a déclaré à plusieurs reprises : il est capitaliste.

 « Je suis capitaliste car je ne vois pas quel meilleur système permettrait de produire des biens et des richesses, mais je crois qu’il existe des moyens alternatifs au , c’est-à-dire à la répartition des richesses produites par le capital. Le libertaire aujourd’hui ne pense donc pas qu’il faut abolir le capitalisme mais qu’il faut résister au mode libéral de gestion du capital. Voilà pour la théorie. »[21]

 On notera d’ailleurs en passant son ignorance complète de l’économie. Car contrairement à ce qu’il affirme, le n’est pas une théorie de la répartition, mais une théorie de l’échange.

 Au terme de cette allocution, je pense donc pouvoir formuler une conclusion provisoire, à savoir que la nature de l’ n’est pas indépendante des prises de position politiques de l’athée en question et qu’une déclaration d’ n’est certainement pas suffisante pour s’inscrire dans un combat républicain. L’exemple de Nietzsche devrait pourtant nous mettre la puce à l’oreille. Un déclaré peut très bien être l’ennemi de la laïcité et du progrès. Il peut être un nouvel obscurantisme.

J’espère en tout cas avoir convaincu un certain nombre de lecteurs d’Onfray plus ou moins sensibles à ses écrits, voire même d’athées nietzschéens. La lutte contre le dogmatisme passe par la capacité à se remettre en cause de tout un chacun. J’estime en effet, à l’inverse de Nietzsche, non que l’on « devient ce que l’on est », mais au contraire que l’on est ce qu’on devient.

 

Aymeric Monville, 10 octobre 2007



[1] A. Monville, « Impasse de l’athéologie nietzschéenne (sur Michel Onfray) », in La Raison, n°522, juin 2007, p. 22.

[2] N. Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, Editions du Cerf, Paris, 2004, p. 127.

[3] J.-C. Mauries, « De l’ antidogmatique », in La Raison, n° 524, septembre-octobre 2007, p. 24.

[4] Engels, « Bruno Bauer et le christianisme primitif », in Marx-Engels, Sur la religion, recueil publié aux Editions Sociales, Paris, 1960, p. 191-2.

[5] Georges Lukács, La Destruction de la raison – Nietzsche, Editions Delga, Paris, 2006.

[6] Georges Lukács, La Destruction de la raison – Nietzsche, Editions Delga, Paris, 2006, chap. IV.

[7] Politique du rebelle, 37 000 exemplaires ; La Raison gourmande, 13 000 exemplaire, selon Lire, février 2006.

[8] Antoine Casanova, « Mouvements des religions et mouvements des rapports sociaux aujourd’hui », in La Pensée, n°245, 2000, p. 7.

[9] Michel Onfray, Traité d’athéologie, Grasset, 2005, p. 29.

[10] M. Onfray, ibid., p. 173.

[11] M. Onfray, ibid., p. 276.

[12] M. Onfray, ibid., p. 86.

[13] M. Onfray, ibid., p. 260.

[14] Les références aux citations qui vont suivre sont données in A. Monville, Misère du « nietzschéisme de gauche », de Georges Bataille à Michel Onfray, Aden, 2007.

[15] A. Monville, Misère du « nietzschéisme de gauche », de Georges Bataille à Michel Onfray, Aden, 2007.

[16] Antoine Casanova, « Mouvements des religions et mouvements des rapports sociaux aujourd’hui », in La Pensée, n°245, 2000, p. 7.

[17] Interview de J.-J. Marie, in L’Idée libre, n° 276, mars 2007, dernière page.

[18] M. Onfray, ibid., p. 282.

[19] M. Onfray, Antimanuel de philosophie, Editions Bréal, Rosny, 2001, p. 54.

[20] M. Onfray, La Puissance d’exister : manifeste hédoniste, Grasset, 2006, p. 179.

[21] F . Busnel et P. Delaroche, « Entretien avec Michel Onfray », in Lire, cit.

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Ecrit par dcollin le Vendredi 3 Avril 2009, 17:21 dans "Actualités" Lu 9042 fois. Version imprimable

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