Justice
Une brève recension de l'ouvrage de Michael J. Sandel
Mots-clés : Rawls, Kant, libéralisme, justice sociale, Aristote, communauté
Cependant, la morale de Kant souffre de son abstraction. Sandel discute longuement la question du « droit de mentir » et, tout en appliquant le principe de charité qui refuse de prêter à Kant des thèses absurdes, souligne les contradictions de l’impératif catégorique. Sur la plan de la théorie du droit, Kant suppose un contrat social imaginaire que Rawls va essayer de préciser dans la Théorie de la justice en faisant reposer les principes de justice sur l’expérience de pensée du « voile d’ignorance » dont les individus sont censés consentir aux principes d’égalité liberté pour tous et différence. Ce qui ne convient pas dans les thèses de Kant et de Rawls, c’est d’une part qu’elles cherchent un principe unique dont on pourrait dériver des réponses à toutes les questions qui se posent philosophie politique et, d’autre part, qu’elles affirment une priorité du juste sur le bien étrangère à toute idée de la recherche de la vie bonne. Si Sandel rend justice – c’est le cas de le dire – à Kant et Rawls, il défend, pour sa part, une conception aristotélicienne ou plutôt néo-aristotélicienne qui refuse de séparer la justice des finalités de nos actes, c’est-à-dire de la recherche de la vie bonne. On appréciera tout particulièrement les longs développements qu’ils consacrent à ce que nous devons à la communauté politique à laquelle nous appartenons, avec toutes les conséquences qu’on en peut tirer sur les questions épineuses de notre époque (mariage gay et service civique ou encore mères porteuses). Il rappelle avec Aristote que « la finalité de la politique ne consiste en rien de moins que de permettre aux gens de développer leurs capacités et leurs vertus proprement humaines – de délibérer à propos du bien commun, de former leur jugement pratique, de prendre part au gouvernement autonome, de se soucier du sort de la communauté considérée comme un tout. » (p. 284) Sandel se situe lui-même dans la proximité d’Alasdair MacIntyre, donnant la priorité à l’ethos communautaire sur les conceptions d’une justice indifférente aux valeurs et aux conceptions compréhensives du bien.
Au total, un livre qui se lit d’une traite, appuyé sur de nombreux exemples tirés de l’imagination de l’auteur, mais aussi et surtout de l’histoire récente. À conseiller à tous, sans retenue.
Michael J. Sandel, Justice, 2009, traduction française de Patrick Savidan, Albin Michel, 2016.
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Mots-clés : Rawls, Kant, libéralisme, justice sociale, Aristote, communauté
Ecrit par dcollin
le Dimanche 17 Avril 2016, 13:56
dans "Bibliothèque"
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