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Un socialisme pour les temps nouveaux

Un socialisme pour les temps nouveaux

mardi 2 septembre 2025par Denis COLLIN

Introduction

Les partis font des programmes, sans trop se soucier de savoir si cela recoupe les préoccupations des citoyens. Ça sert à ça, un parti : à faire des programmes, à se faire élire et avoir son groupe parlementaire. Pour le reste on verra plus tard ! Les plus vieux ont encore en mémoire le programme du congrès de Metz de 1979 du parti socialiste (la rupture avec le capitalisme) et les 101 propositions de François Mitterrand qui devaient déboucher par l’exact contraire de ce qui était promis. À la place du socialisme, nous eûmes Tapie, la liquidation de la sidérurgie et la place nette pour les « marchés » et le fric à tous les étages.

Nous n’avons pas de programme à proposer, nous n’allons pas proposer d’autres économies, une réforme fiscale ou tout autre chose du même genre. Du reste, si on était sérieux, il faudrait commencer par traduire devant la Haute Cour les dirigeants du pays depuis deux décennies, leur demander où ils ont mis le fric, ce qu’ils ont fait, par exemple, des 45 milliards de fonds russes évaporés, etc. Ce que nous proposons est plus ambitieux et surtout plus à la hauteur des enjeux. Nous proposons une nouvelle pensée de l’émancipation, c’est-à-dire une vision à long terme qui devrait guider nos prises de position et actions politiques immédiates ou à moyen terme. Ce qu’il faudrait faire aujourd’hui ou demain doit être déterminé par ce que nous considérons comme essentiel et qui dit où nous voulons aller.

Un diagnostic

Le point de départ, c’est un diagnostic de la situation d’ensemble. Un diagnostic qui s’appuie sur des urgences sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement. Mais si on ne veut pas se contenter de mettre des cautères sur des jambes de bois, il faut déterminer la situation dans laquelle nous sommes.

Il y a d’abord une crise structurelle du mode de production capitaliste. Pour que se poursuive l’accumulation du capital, il faut « faire du nettoyage » et donc liquider des pans entiers du vieux monde capitaliste : l’Europe est la première visée. La puissante industrie allemande est sur la sellette. L’agriculture française a vu son arrêt de mort signé – l’accord Mercosur et l’entrée de fait de l’Ukraine dans l’UE l’indiquent. La folie IA durera ce qu’elle durera, mais elle servira sans doute à liquider une vaste partie des classes moyennes intellectuelles, ces diplômés et ultra-diplômés bien trop nombreux, bien trop coûteux. Une grande crise de type 1929 rectifié 1973 et 2008 ?

Cette crise du mode de production capitaliste est aussi et dans le même mouvement une crise des relations entre les grandes puissances. Le vieux monde post-Yalta est mort et le nouveau peine à surgir. C’est dans cette situation que naissent les montres, ainsi que le disait Antonio Gramsci. Les menaces sont bien réelles d’une troisième guerre mondiale qui pourrait naître d’un dérapage incontrôlé en Ukraine. Les autres sources de tension (Taïwan, par exemple) ne manquent pas. Historiquement, le capitalisme n’a jamais trouvé d’autre solution à ce genre de situation que la destruction massive. Quand on sait que l’Indonésie est au 8e ou 9e rang pour le PIB exprimé en PPA, devant le Royaume uni et la France, que le Brésil devance l’Allemagne à ce classement et que la Russie la talonne, on mesure que les craquements les plus puissants vont venir.

Mais cette crise est aussi une crise globale des rapports de l’humanité avec son berceau, la Terre. Il ne s’agit pas seulement du changement climatique, qui pourrait être l’arbre qui cache la forêt, mais de l’ensemble des ressources dans lesquelles nous puisons sans la moindre retenue. Quand on pense que le sable, pour faire le béton, est devenu une ressource rare, on mesure la gravité de la situation. Toute vision qui repose sur la croissance est condamnée : une croissance illimitée dans un monde fini, seul un économiste ou un fou peut y croire comme le disait Boulding. C’est Kohei Saïto qui a raison : Moins ! Sachant que dans ce « Moins », il faudra aussi prévoir du « Plus » pour les plus pauvres.

C’est enfin et tout à la fois une crise et civilisationnelle. L’individualisme débridé sur lequel repose le consumérisme proposé comme idéal de vie rend les sociétés folles. La fabrication d’individus unisexes, dégagés de toute appartenance et mobiles à volonté se heurte à l’indéracinable effort des humains pour conserver un milieu naturel et humain dans lequel ils peuvent se sentir en sécurité. La mondialisation a non seulement rendu la situation plus difficile pour les grandes masses pendant que la richesse s’accumulait au sommet de la société bourgeoise, mais elle a aussi produit en réaction un véritable conflit des civilisations. En d’une universalisme abstrait, nous avons longtemps refusé le diagnostic de Samuel Huntington, mais il faut maintenant se rendre à l’évidence. Les peuples sont les facteurs de l’histoire autant que les classes sociales et ils se battront pour persévérer dans leur être.

Sortir du capitalisme et de la mondialisation

Aucune issue n’est possible et l’humanité plongera dans la barbarie dont les grandes dystopies nous ont fait le tableau si on ne sort pas et du capitalisme et de la mondialisation. Les deux sont étroitement liés. Sortir du capitalisme, c’est renouer avec le programme fondamental de Marx : réconcilier les producteurs avec les moyens de production, restaurer la propriété individuelle sur la base de la socialisation. C’est évidemment impossible à l’échelle mondiale. On ne pourra pas construire des coopératives ouvrières oeuvrant sur les cinq continents et employant des centaines de milliers de coopérateurs. « Small is beautiful », disait E.F. Schumacher au début des années 1970. Retrouver, autant que faire se peut, de l’autonomie et même de l’autarcie, nous n’avons en réalité pas beaucoup d’autre perspective.

Quand Jean-Marc Jancovici soutient, symboliquement, que chacun devra se contenter de trois ou quatre voyages en avion, dans la durée de sa vie, il a parfaitement raison. Il nous faudra apprendre l’économie au bon sens du terme : comment ne pas dépenser ses ressources dans des futilités ? Comment prévoir ? Gérer la production et la consommation en bons « pères de familles » !

Certes, on ne peut retourner à « l’âge de pierre » et la vision idyllique de la Terre transformée en jardin d’Arcadie n’est pas un idéal politique sérieux. Mais nous devrons définir, collectivement, c’est-à-dire démocratiquement, les priorités. On devra sans doute investir dans la santé, qui « est le plus grand de tous les biens ». Mais il n’est pas utile de fabriquer des autos pesant plus de deux tonnes et développant 400 chevaux, ni de permettre à des quelques centaines de millions d’individus d’aller passer un week-end sur une « plage de rêve » quand ce désir vain leur chante dans le ventre. On peut utiliser de manière plus intelligente les progrès des outils des communications. Quand on sait que 50 % du trafic internet est le fait de robots, on voit qu’on a de la marge, pour une utilisation rationnelle de réseau mondial.

Relocaliser : voilà encore une nécessité. Outre qu’elle réduit le gaspillage, la relocalisation nous oblige à mesurer ce que coûte réellement la fabrication des choses, tant en temps de travail, en fatigue qu’en pollution. Peut-on continuer à gaspiller chaque année des dizaines de millions de tonnes de vêtements presque jamais portés ? Si les ouvriers du Bangladesh ou d’Éthiopie se consacrent à produire pour eux-mêmes, ils seront plus riches et nous ne pourrons plus nous permettre d’entretenir des classes parasitaires de spécialistes du « marketing », c’est-à-dire des pousse-au-crime de la société de consommation.

Démondialiser donc : fabriquer « à la maison » tout ce qui peut l’être. Redonner vie à l’agriculture paysanne et revitaliser les petites villes, démanteler les métropoles qui sont des contresens écologiques. C’est aussi la condition pour que chacun reste « maître chez soi » et que se reconstituent des communautés humaines viables.

Le coût du changement

Inutile de se raconter des histoires. La société dont on esquisse ici les contours ne sera pas une société d’abondance au sens que rêvaient les vieux marxistes. Elle sera une société de rareté. Calculée en termes de PIB, la richesse des grandes nations est appelée à baisser, peut-être même drastiquement : si on divise par deux ou trois la production des principaux biens de consommation, si on parcourt moins de kilomètres et si les gares et les aéroports ne sont plus toujours à la limite de l’asphyxie, nous serons moins « riches ». Mais, tout d’abord, nous n’avons pas le choix. Si nous continuons sur la trajectoire actuelle, nous finirons encore moins riches, puisque la Terre sera dévastée et que l’ordre ne pourra être maintenu que par des régimes fascistes, fussent-ils des fascistes verts.

Ensuite, nous devons sortir du « fétichisme de la marchandise », c’est-à-dire de l’évaluation monétaire des biens. Ce qui compte vraiment, ce n’est pas la valeur d’un bien, mais sa valeur d’usage. Une auto robuste et économique « vaut » bien plus qu’un de ces chars de luxe qui encombrent les routes. Une maison à la dimension de ma famille, convenablement chauffée vaut tous les palais du monde. Rien de tout cela n’est utopique : une des raisons de la crise de l’industrie automobile est que les véhicules aux États-Unis ont environ un âge moyen de 11 ans et la situation n’est pas très différente en Europe. Une bonne partie de ces véhicules terminent leur carrière dans des pays pauvres où des mécaniciens astucieux font rouler des modèles qui ont disparu depuis longtemps dans les pays riches…

À cette question, il y a une dimension et psychologique. Comment vaincre la frustration qui naît de la compulsion d’acheter ce dont on a aucun besoin réel ? Il n’est pas évident que l’on puisse convertir la grande majorité aux bienfaits de la rigueur monacale ! Il est nécessaire ici de reprendre les travaux de quelqu’un comme Marshall Salhins : l’abondance n’est rien d’autre que la satisfaction de ce qu’on a ! On doit imaginer que les individus qui ne sont plus envieux de choses dont l’acquisition est toujours la source d’une nouvelle frustration trouveront leur bonheur dans la vie commune, la « convivialité » célébrée jadis par Ivan Illich et l’exercice de la démocratie à tous les niveaux, avec le temps que cela prend pour parvenir à des consensus suffiront à remplacer les matinées dans les centres commerciaux… On sait aussi que nombreux sont ceux qui occupent leur temps libre à embellir leur demeure ou à se livrer à toutes sortes d’activités culturelles. Apprendre à chanter dans une chorale, lire un bon livre, apprendre le sanskrit ou le japonais, faire du vélo ou louer au foot : voilà des activités épanouissantes et peu coûteuses ! On n’est pas obligé d’aller faire du trekking dans l’Himalaya, la traversée du Morvan réserve de belles joies (ce n’est qu’un exemple).

Conclusion

Une nouvelle pensée de l’émancipation implique une transformation radicale, tournant le dos à ce « divin marché » et ses ruses, si bien analysés par Dany-Robert Dufour. Une transformation qui, cependant, n’est pas étrangère aux grandes traditions qui ont irrigué l’éducation depuis des millénaires. Il faut lire les philosophes grecs, non pas pour faire le malin et briller en société, mais parce qu’on y trouve des leçons irremplaçables, comme on en trouve dans toutes les grandes œuvres.

Si un parti nouveau devait naître – il n’est pas certain que cela soit souhaitable – sa première tâche serait de s’adresser à la conscience de nos concitoyens avant de faire des élections et chasser les postes à pourvoir.

Denis COLLIN

Le 2 septembre 2025 

 

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Ecrit par dcollin le Vendredi 3 Octobre 2025, 11:33 dans "Actualités" Lu 36 fois. Version imprimable

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