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Métaphysique et réglements de compte

Ou d'une petite infamie d'un certain Nef

Un certain Frédéric Nef a publié Qu'est-ce que la métaphysique? (Gallimard, Folio,1072 pages), un gros pavé qui veut montrer que loin d'être morte, la métaphysique est parmi nous et que nombreux sont les philosophes contemporains (de Russell à Mc Taggart, de Whitehead à Armstrong, de Kripke à Lewis) qui prennent pour objet la structure ultime du monde.
Rien à dire sur le projet. Encore que la confusion de la métaphysique et de l'ontologie soit assez discutable.

Le livre démarre lentement selon la mode des tableaux de la philosophie contemporaine, une mode qui permet de produire des papiers pour les magazines à défaut de penser. C'est aussi un moyen de régler quelques comptes ici et là. Je passe sur le démolissage de ce malheureux Habermas, réalisé au moyen de quelques collages de citations prises ici et là et sans que l'accusé ait les moyens de se défendre.

Mais les choses se gâtent sérieusement en page 103. Il s'agit de réfuter l'idée selon laquelle Hegel aurait accompli la métaphysique. Pourquoi pas? Mais Nef a des arguments qui frappent: "Le maquillage de Hegel en libéral anglais ne peut faire oublier que c'est le penseur de l'Etat total, rouge, brun ou même bleu-blanc-rouge(26) que l'on souhaite le renverser ou (Lénine) ou l'appliquer (G.Gentile). Sa pensée et sa dialectique trop subtiles ont servi à couvrir du voile pudique de la logique les monstruosités les plus inouïes." Et ainsi de suite.
Quel rapport avec le sujet? Aucun évidemment. Ce Nef qui prétend philosopher utilise un bas procédé de polémique politicienne pour disqualifier Hegel. Remarquons que le nazisme avéré, lui, de Heidegger, ne gêne pas une minute le redresseur de torts. Mais passons. Mettre dans le même sac ceux qui veulent renverser l'Etat et ceux qui veulent l'accomplir, c'est bizarre pour quelqu'un qui ne veut pas d'une dialectique "trop subtile". Mais surtout, il n'y a pas l'ombre du commencement d'une explication à l'appui de cette attaque vile contre Hegel, pas le début d'une argumentation. Bref, de la philosophie avariée.

Mais les vilenies de ce monsieur ne s'arrêtent pas là, car le rouge et le brun comme totalitarisme, passe encore. Mais pourquoi y ajouter le bleu-blanc-rouge? Pour ce Nef, il n'y a donc pas de différence entre le régime nazi et la République? C'est en tout cas ce que la note (26) donne à croire. On y apprend en effet que le hégélianisme est "une des sources du républicanisme de droite" et qu'il fait partie "du fond commun d'idées qui justifie l'enseignement de la philosophie avant l'université, vu lui-même comme un rempart de la République." Et Nef de citer un article de Bernard Bourgeois publié par L'enseignement philosophique, la revue de l'APPEP.

La boucle est bouclée: la métaphysique on passe à Hegel, de Hegel aux nazis, des nazis aux Républicains et, de là, à la philosophie en terminale. Voilà le genre de saloperie que peut commettre un "directeur d'étude à l'école pratique des hautes études en sciences sociales".

J'ai abandonné ces 969 pages restantes à leur triste tort. Il y a tant de livres à livre écrits par des auteurs honnêtes...

Ecrit par dcollin le Mardi 5 Avril 2005, 13:50 dans "Actualités" Lu 7680 fois. Version imprimable

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Commentaires

PrGroKrouk - le 17-08-05 à 02:12 - #

ça doit bien peser deux kilos, 1072 pages


le plan du livre

François - le 24-01-06 à 18:26 - #

Bonjour,

Merci d'avoir donné la place à ce livre, et bravo pour avoir réussi à dépasser la centième page. je dois dire que la première partie est en effet très arride. Comme vous je reste perplexe sur la signification de ce "bleu-blanc-rouge". Ayant été un petit plus loin dans ma lecture, je voudrais juste signaler que les relations de Heidegger avec "le culte malsain d'une germanité originaire" se trouve page 161. Toutefois, pour une analyse de la "pensée en figure" chez heidegger, les pages 203 à 211 peuvent être intéressantes.

A noter
1) que la partie sur Kant cherche surtout à montrer l'intérêt renouvelé pour Wolff.
2) qu'il y a un chapitre sur des auteurs médiévaux assez éclairantes

Visiblement, vous êtes plus calé que moi en philosophie. Je m'interroge sur ceci: la plupart des ouvrages anglo saxon d'une part, mais finalement c'est valable pour nombre d'auteurs d'europe centrale, traitent d'auteurs absolument pas enseignés en France: Lambert, Brentano, Peirce, Wolff, Duns Scot, Bolzano, Carnap, Averroes, Avicenne, Suarez. Si j'ai bien compris le propos de Nef, c'est de montrer pourquoi c'est à ces auteurs que viennent s'abreuver les auteurs de la métaphysique contemporaine et non à Kant, Hegel, Comte, Husserl, Heidegger.

Etrange que le monde s'intéresse à des auteurs qui ne sont pas des auteurs à proprement parlé de philosophie analytique, ce sont des auteurs classiques, et dont j'ignorait pourtant absolument tout.

François




Re: le plan du livre

Morgane - le 15-10-06 à 13:44 - #

Bonjour François,

Je suis étudiante en doctorat de philosophie et je tiens à répondre à ta remarque intéressante. Tu soulèves en effet un point épineux du système français. Par exemple, en philosophie politique justement, où est passé l'enseignement de Hobbes, Locke, Smith...? On peut les découvrir à l'université, mais il semble qu'en terminale, les grands classiques anglais n'aient pas leur place et qu'on leur préfère Freud (pourquoi?). Il y a de quoi rendre certains furieux, non? Ca ne justifie pas la colère mais l'explique très bien. Les tensions que je vois monter en France (je vis à l'étranger) me semblent justement toujours très émotionnelles sous couvert de rationalité. Difficile alors de s'y retrouver !

J'espère que ton questionnement sera résolu (la tension philosophique étant à mon sens plus difficile à vivre que ne le croient ceux qui ne font pas de philosophie du tout, n'est-ce pas...?) !

Morgane 


Wilhelm - le 27-06-06 à 23:31 - #

J'ai tenu jusqu'à la page 36, i.e. 20 pages de lecture. C'est déjà trop.


badiou

sam - le 01-08-07 à 00:00 - #

ce nef à ecrit un texte puant de haine sur badiou!


Critique d'humeur / critique philosophique

philalethe - le 16-12-09 à 20:40 - #

 Je suis surpris de trouver sous votre plume, si souvent de qualité, une critique si passionnelle, si injuste, si expéditive. Ce livre doit être jugé en tant que livre de métaphysique ; or vous vous laissez prendre par le ton quelquefois polémique et par quelques traits anecdotiques secondaires pour exécuter l'ouvrage en reconnaissant ne pas l'avoir lu. Ce qui est fort de café, vu que vous le condamnez au nom de l'honnêteté... Résumons : vous détournez de la lecture d'un ouvrage de métaphysique pour des raisons politiques ; ce n'est pas plus pertinent que de détourner d'un ouvrage de philosophie politique pour des raisons métaphysiques. Que penseriez-vous d'un métaphysicien qui détournerait le lecteur de votre Cauchemar de Marx en donnant comme raison que vous avez une théorie naïve des propriétés ?


Un certain Nef...

Joubine - le 03-12-12 à 04:06 - #

 Bonjour,
Je pense que dans toute discussion qui se veut intellectuelle, le respect s'impose. Ce "certain Nef' comme vous l'appelez de manière hautaine a été mon professeur à l'EHESS et je garde de lui le souvenir d'un individu ouvert d'esprit, connaisseur de son domaine et humble à la fois (des qualités peu souvent réunies ensemble). Ensuite en ce qui concerne son ouvrage, comme un autre commentateur l'a signalé avant moi si bien, c'est sur un "hors-sujet" en fait que vous vous prenez à ce dernier. Je pense surtout que votre chauvinisme en ce qui concerne une certaine République aurait été touché....Rien à avoir avec le contenu du livre. À la fin de ce petit commentaire, ce Monsieur que vous appelez avec mépris "un certain Nef" est l'un des plus grands penseurs des temps présents.