Kant, Marx et la question de la morale
à propos d'un article dans Actuel Marx
David Simard refuse catégoriquement cette problématique. Marx ou Kant : il faut choisir ! L’interprétation que j’ai proposée de certains textes de Marx comme faisant écho à l’universalisme moral kantien est rejetée comme une véritable perversion de la pensée authentique de notre vieux maître. La réintroduction d’un dimension normative dans la pensée de l’émancipation ne serait au mieux qu’un cautère sur une jambe de bois et au pire un moyen de soigner sa mauvaise conscience tout en acceptant l’impuissance politique. Enfin, David Simard semble que considérer que le matérialisme historique et dialectique standard a fait ses preuves et que les approches critiques de type kantien n’ont aucune pertinence : elles ne peuvent pas protéger le marxisme des errements totalitaires et tout au plus elles peuvent servir « le bien-être psychologique des idéalistes ».
La critique de m’adresse David Simard ne concerne pas seulement ma modeste contribution. Elle soulève toute une série de problèmes fondamentaux que je ne peux développer dans le cadre restreint de ces quelques remarques. Je me contenterai de pointer trois objets de litige entre nous, en espérant dissiper d’éventuels malentendus. Le premier concerne le caractère abstrait de la morale de Kant. Le deuxième concerne le rapport de Marx à la philosophie héritée. Le troisième concerne la portée actuelle du matérialisme historique.
Remobiliser Kant, ce serait retourner à une morale abstraite, séparée de la pratique, et donc retomber, qu’on le veuille ou non, dans l’idéalisme – même si, comme le reconnaît David Simard, ce n’est pas l’idéalisme classique. Cependant, qualifier Kant d’idéaliste me semble à la fois rapide et imprudent. Sur le plan théorique, l’idéalisme transcendantal n’est pas un idéalisme comme les autres et Lénine disait qu’entre matérialisme et idéalisme, Kant était plutôt un agnostique. Il existe dans le marxisme une solide tradition de lecture matérialiste de Kant autour, par exemple, de Galvano Della Volpe. Mais surtout, sur le plan pratique, on ne peut pas faire comme si Kant avait pris sa retraite après avoir écrit les Fondements de la métaphysique des mœurs. Cet ouvrage, en effet, loin d’être le dernier mot de la pensée normative kantienne est celui qui permettra de mettre à jour la source commune de la loi morale et des principes du droit, savoir la raison pratique. Il s’agira ensuite de réconcilier la raison pure et la raison pratique. En affirmant que Kant a les mains pures mais n’a pas de mains, Péguy n’avait pas fait preuve d’un grand sens philosophique. De Théorie et pratique à la Paix perpétuelle, Kant montre comment on peut dialectiquement articuler une compréhension rationnelle de la marche de l’histoire selon des lois déterminées, l’exigence morale qui guide l’action et les principes du droit. Et si la morale ne peut être fondée empiriquement, cela ne veut évidemment pas dire que l’action se désintéresse des conditions historiques. Au contraire, Kant veut montrer que la marche de l’histoire elle-même, qui n’est pas déterminée par les intentions morales des acteurs, ouvre la voie à l’établissement d’une organisation politique et juridique conforme aux principes moraux, sans d’ailleurs que morale et droit se confondent. Faute de quoi la contradiction entre la raison théorique et la raison pratique serait irréconciliable et l’impératif catégorique resterait une vaine pétition de principe ou tomberait dans ce « fanatisme moral » que Kant dénonce chez les Stoïciens.
Quiconque lit aujourd’hui tous les opuscules polémiques de Kant ne peut qu’être frappé de leur portée véritablement subversive. Prenez « Qu’est-ce que les Lumières ? » et vous êtes certain de semer la panique chez tous les adeptes de l’un des « trois imposteurs ». Comment ? N’avoir pas besoin de prêtre pour penser, pas besoin de commandant pour vous dire comme vous devez agir ? Ce M. Kant est dangereux pour la paix de nos cités ! On ne doit pas oublier non plus que Kant a clairement pris parti pour la révolution française et qu’il l’a défendue dans ses écrits – y compris dans des circonstances difficiles où il lui a fallu ruser avec la censure de la monarchie prussienne.[3] Quand David Simard écrit que « la différence fondamentale entre Marx et Kant est que ce dernier ne préconise pas la révolution », on pourra répondre que si Kant ne « préconise » pas la révolution, il a soutenu la seule qu’il ait l’occasion de connaître. Du reste, Marx non plus ne préconise pas la révolution puisque cette dernière est un phénomène objectif qui découle nécessairement des contradictions entre le développement des forces productives et le maintien de rapports de production qui ont fait leur temps.
En vérité, le Kant que me reproche David Simard est celui d’une certaine tradition marxiste, celle, par exemple, de Leur morale et la nôtre de Trotsky. Dans Morale et Justice Sociale, je consacre un développement à ce texte et dont les contradictions constituent en elles-mêmes une réponse aux critiques que m’adresse David Simard. Trotsky veut défendre le point de vue « matérialiste historique » contre ceux de ses amis qui estiment que le stalinisme a révélé l’impossibilité de s’en tenir « l’amoralisme bolchevik. » Le matérialisme doit nous débarrasser de la morale. « L’idéalisme classique en philosophie, dans la mesure où il tendait à séculariser la morale, c'est-à-dire à l’émanciper de la sanction religieuse, fut un immense progrès (Hegel). Mais, détachées des cieux, la morale avait besoin de racines terrestres. La découverte de ces racines fut l’une des tâches du matérialisme. Après Shaftesbury, il y eut Darwin, après Hegel, Marx. »[4] La réponse de Trotsky montre que la politique révolutionnaire ne peut se dispenser de principes normatifs. En dépit de ses attaques contre Kant, il défend finalement des valeurs et des normes à la résonance très kantienne.[5] Attaquant les procédés du mensonge, de la cruauté et de l’avilissement utilisés par le stalinisme, il recourt, contre sa propre thèse, à des jugements de valeur de nature morale.
Certes, on ne peut pas faire de Marx un défenseur de « la pureté du principe de la moralité » et sans aucun doute il fait naître les exigences morales des réalités concrètes. Ainsi, l’individu, au sens où l’entendent la philosophie morale et le droit moderne, est-il un produit du développement historique – comme Hegel, Marx tient pour un grand mérite du mode de production capitaliste d’avoir précisément produit cet individu libre. Cet individualisme moderne, celui qui pose les individus comme personnes libres et égales qui ne peuvent accepter d’autre autorité que celle qu’ils établissent en commun par un contrat, Marx le tient pour un progrès majeur de « l’histoire universelle ». Mais c’est de ce point de vue qu’un marxiste peut trouver avec un kantien une sorte de « consensus par recoupement ». Le principe universaliste de l’impératif catégorique exprime de la manière la plus précise les tâches mises à l’ordre du jour par la « vie concrète », comme le dit David Simard. Bref, on a de bonnes raisons de réintroduire Kant dans la liste des penseurs majeurs pour qui reste fidèle à l’idéal de cette émancipation des travailleurs qui doit être l’émancipation de l’humanité toute entière.
La deuxième question litigieuse concerne le rapport de Marx à la philosophie héritée, c'est-à-dire à ce qu’il est convenu d’appeler l’idéalisme allemand. Marx n’est pas kantien, c’est entendu. Mais quand il parle d’impératif catégorique ou qu’il oppose règne de la nécessité et règne de la liberté (où l’homme est à lui-même sa propre fin), on ne peut pas dire, comme David Simard, qu’il n’avait pas voulu dire entendre ces expressions en leur sens kantien. S’il l’a dit, lui qui a grandi dans la tradition de l’idéalisme allemand, c’est en connaissance de cause et c’est, à divers moments de son œuvre, un « flirt » significatif avec le maître de Königsberg. Que les préoccupations normatives universalistes imprègnent la pensée de Marx, c’est absolument évident. Le jeune Marx part de la nécessité de « réaliser » la philosophie allemande, c'est-à-dire de rendre effectifs, réels, les principes qu’elle proclame. Et l’attaque contre l’idéologie allemande est centrée là-dessus : les Allemands parlent et croient que, parce qu’ils ont parlé, le monde sera changé[6]. Kant pose théoriquement l’humanité comme communauté universelle, mais rappelle que ce qui vaut en théorie vaut aussi en pratique ! Pour Marx, c’est le prolétariat agissant pour ses propres buts qui réalisera effectivement cette communauté. Mais même cela n’est pas anti-kantien, puisque, selon Kant, c’est parce qu’ils sont égoïstes, à la fois sociables et insociables que les hommes finiront par construire un État de droit universel qui réalisera le plan de la nature. Ainsi quand David Simard affirme que « ce qui compte au contraire pour Marx, c’est de faire en sorte que l’émancipation humaine soit réalisée dans les faits, et pas seulement en idée », non seulement une telle proposition ne contredit pas mon interprétation de Marx, mais, sans prendre d’engagement trop précis pour lui, je crois que Kant lui-même l’approuverait, lui qui n’avait pas de mots assez durs pour attaquer les philistins.
On me dira que le jeune Marx n’est pas le vieux Marx. C’est exact. Mais pour soutenir qu’il y a une dimension morale chez Marx, c’est la moitié du livre I du Capital que j’aurais pu convoquer. Car des chapitres entiers de cette grande œuvre scientifique et philosophique sont littéralement envahis par le pathos moral : singulièrement le chap. X, sur la durée de la journée de travail, le chap. XV sur le machinisme et la grande industrie, et le chap. XXV sur l’accumulation. Marx constate que l’exploitation capitaliste produit les pires formes de barbarie et transforment les hommes en choses dont le capitaliste use à son gré. Si on se contente de la description scientifique, on peut tout simplement dire : « et alors ? » La civilisation grecque est impensable sans l’esclavage et Aristote ne trouvait pas choquant de comparer un esclave avec un bœuf ou un « outil animé ». Marx est indigné, révolté contre la barbarie capitaliste ; il commence par là et finira sa vie avec cette révolte. On dira que l’horizon d’action procède de l’analyse des conditions objectives et que Marx pense le communisme et la lutte pour le communisme comme la conclusion logique de l’analyse des contradictions du mode de production capitaliste et que, par conséquent, il est inutile de supposer deux dimensions distinctes, celle de l’analyse scientifique d’une part, celle des normes universelles de l’action d’autre part. Sans aucun doute, c’est là une interprétation conforme à la tradition marxiste. Mais elle me semble erronée d’abord parce qu’elle reproduit le fameux sophisme naturaliste[7] et, d’autre part, parce qu’il faudrait, pour l’accepter, procéder à une véritable épuration des textes et des concepts de Marx. Dans ses Études matérialistes sur la morale, Yvon Quiniou montre qu’un concept comme celui d’aliénation est inséparablement scientifique et normatif. Et il s’agit bien d’une normativité morale, puisque la critique de l’aliénation formule « l’exigence d’une émancipation possible de tous les hommes » (p.114).
J’avais rappelé ce passage assez fameux du livre III du Capital dans lequel Marx distingue deux « règnes », celui de la nécessité et celui de la liberté. David Simard affirme qu’on peut pas voir là un écho aux deux mondes kantiens, deux mondes qui sont bien des « règnes ». Ainsi, réfutant l’opposition liberté/nature, David Simard écrit « La première procède de la seconde, non pas conceptuellement ou sur le plan purement logique, mais empiriquement. La sphère de la nécessité n’est pas la sphère d’une nécessité logique, mais la sphère de la production, celle où l’homme est contraint de transformer la nature pour satisfaire ses besoins. Il ne s’agit pas là de la nécessité construite par les concepts de l’entendement, c’est-à-dire d’une nécessité a priori, mais d’une nécessité empirique. » Il me semble qu’il y a là plusieurs confusions sur la catégorie de nécessité chez Kant : l’opposition d’une nécessité empirique (marxienne) à une nécessité logique (kantienne) est fort discutable. Mais le plus important est ceci : Marx définit la production comme une partie intégrante de ces activités humaines déterminées par la nécessité et les fins extérieures, bref comme ce en quoi l’homme reste un être naturel, déterminé par les lois les plus générales de la nature. Il n’est sans doute pas exact d’affirmer qu’il y a un recouvrement total entre la nature au sens où l’entend Kant – ensemble des phénomènes soumis à des lois constantes – et ce règne marxien de la nécessité mais le système d’opposition nécessité/liberté que reprend Marx justifie amplement cette comparaison. En outre, il ne s’agit pas d’une formule isolée. Non seulement Marx mais aussi Engels définissent à de nombreuses reprises la transformation sociale à venir comme le passage du règne de la nécessité à celui de la liberté. Ce qui est particulier dans le texte du Livre III, c’est que ce passage n’est pas un dépassement, puisque un règne de la nécessité, la nécessité éternelle du travail, subsiste – ce qui semble d’ailleurs indiquer que Marx a renoncé à ce moment à une double utopie, celle de la fin du travail et celle du travail comme premier besoin de l’homme libéré.
La critique de David Simard est cependant plus précise : la conception de la liberté comme libération qui serait celle de Marx n’a aucun rapport avec celle de Kant et chez Marx il n’y a pas d’opposition radicale entre liberté et nécessité. On voudrait que les choses soient aussi simples mais ce n’est pas le cas. Si on lit Marx dans l’optique spinoziste, il est clair que liberté et nécessité ne peuvent s’opposer, la nécessité s’opposant seulement à la contingence. Mais si Marx dit des choses précises sur l’exploitation, la domination, la soumission (et son revers la domination), on est assez embarrassé pour y trouver une conception un peu cohérente de la liberté. Il se trouve que dans le texte que j’analyse brièvement – et dans beaucoup d’autres – Marx développe deux concepts de la liberté : une liberté « faible » qui consiste à comprendre la nécessité et à agir au mieux en fonction de cette compréhension – c’est la seule liberté qui soit possible dans le domaine de la production – et une conception « forte » de la liberté comme possibilité de déployer toutes les potentialités propre à chaque individu. Mais cette deuxième liberté consiste aussi, dit encore Marx, à considérer l’homme comme étant à lui-même sa propre fin. On peut considérer que cette expression n’a aucun sens et que la véritable pensée de Marx est ailleurs, mais alors il faudra procéder à une nouvelle purge massive des textes marxiens, puisqu’il ne s’agit plus des éventuels errements philosophiques du jeune Marx mais de textes de la maturité.
Le problème le plus important est celui-ci : ces deux définitions de la liberté, tout comme d’ailleurs la définition de la liberté comme libération sont parfaitement hétéronomes au « matérialisme historique ». Elles renvoient par contre aux définitions traditionnelles de la philosophie et singulièrement de la philosophie « idéaliste ». Comment l’homme pourrait-il être son propre soleil, « tourner autour de lui-même », « être à lui-même sa propre fin » ? Toutes ces expressions n’ont rien de « matérialiste » ; un spinoziste un peu rigoureux les réfuterait : les individus ne relèvent pas d’eux-mêmes puisqu’ils sont une partie de la nature dont ils suivent l’ordre ! Il y a donc avec ces définitions de la liberté quelque chose qui résiste à la réintégration dans le lit de Procuste du marxisme standard. David Simard me reproche d’extraire ces passages de la pensée « dans laquelle ils sont déployés ». J’ai bien peur que Marx ne soit pas un marxiste aussi cohérent.
Pour terminer, je crois que David Simard ne peut pas se contenter de renvoyer purement et simplement au matérialisme historique et dialectique, comme une sorte de référence indiscutable, à l’aune de laquelle il faudrait mesurer la validité des lectures marxologiques. Le matérialisme historique en tant que méthode scientifique a prouvé sa fécondité et après Marx on n’a plus jamais fait d’histoire comme avant. Mais c’est aussi une philosophie de l’histoire proche de celles de Kant et de Hegel dont il partage la problématique. Or cette philosophie de l’histoire, idéaliste, pour le coup, s’est effondrée. Les prédictions scientifiques de Marx se sont réalisées, mais pas du tout sous les formes que prévoyait l’eschatologie marxiste : internationalisation de la production, développement des sociétés par action, « financiarisation de l’économie » et croissance du capital fictif, tout cela est dans Marx. Mais le communisme ne s’est réalisé que sous la forme hideuse de la tyrannie totalitaire. Et si on peut parler de dépérissement de l’État, c’est sous le capitalisme qu’il se produit avec l’affaissement des États-Nations au profit de « gouvernance mondiale ». La société d’abondance qui éliminerait toute répartition fondée la rareté des ressources est, à un horizon visible, hors de portée. À la place nous avons le gaspillage capitaliste et la destruction des deux sources principales de richesse, la terre et le travail.
C’est la puissance même de la vision historique de Marx et notamment de son analyse du capital qui condamne irrémédiablement sa philosophie de l’histoire. Et nous oblige du même coup à renoncer aux illusions consolatrices d’un devenir qui s’accomplirait nécessairement dans la bonne direction. Il faut prendre tout à fait au sérieux l’ambition de Marx de fonder une science de l’histoire en rupture avec la philosophie idéaliste de l’histoire héritée de Kant et Hegel. Je ne sais si l’expression althussérienne de l’histoire comme « procès sans sujet ni fin(s) » peut encore être employée. Mais il me semble que si une histoire scientifique est possible, c’est une qualification qui devrait lui convenir. Mais il faut en tirer les conséquences. La considération scientifique du réel ne peut jamais dicter ce que nous devons faire – car la réalité en elle-même n’a aucune finalité, on sait cela depuis Galilée. Comme le dit Poincaré, la science s’écrit à l’indicatif, et de prémisses à l’indicatif on ne peut tirer de conclusions à l’impératif.
Par conséquent la question normative nous est de nouveau posée, qu’il s’agisse de la théorie d’État, du droit ou de la question de justice sociale. « Seule une révolution concrète des rapports sociaux change réellement les choses », dit David Simard. Mais la révolution, il faut la vouloir et donc avoir des raisons de la vouloir – car même si un marxisme un peu trop simple pose l’alternative sous la forme « socialisme ou barbarie », encore faut-il savoir pourquoi nous « devons » choisir le socialisme plutôt que la barbarie. Mais la réalité est beaucoup moins simple, et la « barbarie » capitaliste peut avoir des airs riants et se présenter sous un jour avantageux – à cela excellent les idéologues de ce qu’on appelle faute de mieux le néolibéralisme. Mais le capitalisme est lui aussi une « révolution permanente » et de la production et des rapports sociaux qui vont avec. Il propose le progrès et parfois même le renversement de toutes les valeurs.
La question est donc de savoir quelle révolution nous voulons, quel genre de rapports sociaux doivent être établis qui permettraient enfin à l’homme de travailler dans des conditions conformes à sa dignité et conquérir une liberté réelle, celle où il pourrait être son propre soleil, « tourner autour de lui-même » (1845), « être à lui-même sa propre fin » et déployer « toutes les potentialités qui sont en lui » (1869) ? La plupart des formules issues du vieux matérialisme historique sont usées jusqu’à la corde. Que serait une société dans laquelle les rapports sociaux seraient transparents ? Que veut dire la fin de la division du travail ? Doit-on vraiment souhaiter la fin du politique en tant tel, c'est-à-dire à l’abolition de la séparation entre la société civile et l’État ? Essayer de répondre à ces questions, ce n’est pas chercher refuge dans « un ailleurs » comme le dit David Simard. Car si la société d’abondance n’est pas possible, alors le dépérissement de l’État n’est pas possible non plus (quand bien même il serait souhaitable, ce qui est aussi à discuter). Et le « droit bourgeois », c'est-à-dire le « droit égal » dont parle Marx dans la Critique du programme de Gotha, devra subsister. Et les questions que posait la philosophie classique risquent bien de faire retour, sur la base des acquêts de la critique marxienne.
Le 24 novembre 2003 - Denis Collin
[1] Seuil, collection « La couleur des idées », 2001
[3] Je me permets de renvoyer à mon commentaire de la Paix Perpétuelle, in « La Paix » (Bréal, 2002)
[5] Voir Morale et Justice Sociale, pp. 24-33. Sur Leur Morale et la nôtre, on pourra aussi lire ce qu’en dit Yvon Quiniou in « La question morale dans le marxisme » (Actuel Marx, n°19, 1996).
[6] D. Losurdo (Autocensure et compromis dans la pensée politique de Kant, Presses Universitaires de Lille) a bien montré que Kant lui-même était conscient du retard pratique des Allemands sur les Français et ce thème, si typiquement marxien, est en fin commun à toute l’intelligentsia éclairée de la période révolutionnaire.
[7] Voir G.E. Moore : Principia ethica
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Ecrit par dcollin le Vendredi 25 Mars 2005, 20:36 dans "Marx, Marxisme" Lu 8923 fois.
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