Le dialogue de la morale et du social
recension de "Morale et justice sociale" in"Liaisons sociales"
Sur quels critères et quelles valeurs fonder la vie sociale ? Dans cet ouvrage
savant, Denis Collin montre comment les «pères fondateurs» de la philosophie
ont tenté de répondre à cette question d'actualité. La foi s'étant progressivement
« dissociée de la vie sociale et politique », c'est à la morale qu'ils ont fait
appel. L'ouvrage suggère que cette morale doit trouver sa source «dans
les exigences les plus profondes de la vie sociale humaine ». Appliquée trop
littéralement ou trop automati- quement cette position peut aboutir à l'inverse
du but recherché. Chez Adam Smith, père du libéralisme économique, comme chez
Marx, l'auteur condamne la même tentation d'instrumentalisation ou de « sociologisation
» de la morale. Smith a vite fait de réfuter la cha- rité comme une attitude
morale contre-productive puisque, en fai- sant la charité, on diminue l'effica-
cité des lois du marché du travail. Quant au marxisme, il se réclame d'un «amoralisme
» scientifique qui s'inscrit pourtant dans une perspective morale: l'émancipation
des travailleurs considérée comme le moyen d'une émanci- pation générale de
l'humanité. C'est donc une autre voie, empruntée partiellement à Kant et à Rousseau,
qu'il invite à suivre en posant la morale comme le résultat d'une réflexion
conduite dans le silence des passions ». Autrement dit, l'exigence de l'autonomie
de l'individu et celle de l'universalité des principes moraux sont inséparables
d'un certain stade de rationalité, elle-même étroitement corrélée à un certain
état de développement culturel et social. Plus la société se sophistique, plus
le débat social touche au débat moral: de la bioéthique aux problèmes liés au
développement durable, les syndicats sentent bien aujourd'hui cette force d'attraction
du débat moral sur le social. Le principe d'égalité constitue la clé de voûte
de toutes ces réflexions, où la morale surplombe le social. Denis Collin constate
que la société moderne n'arrive pas à dépasser une contradiction de fond: «l'égalité
semble ne pouvoir aller au-delà de l'égalité des droits et, cependant, l'inégalité
des conditions sociales remet en cause cette égalité des droits ». Comment dépasser
cette reconnaissance formelle de l'égalité? Pour étayer sa réflexion, le philosophe
s'appuie sur l'exemple de l'inégalité des salaires. Plus loin, il s'emploie
à montrer que le capitalisme financier a d'autant plus besoin de l'État qu'il
veut déréguler, mais qu'inversement «l'interventionnisme étatique ne conduit
pas forcément à plus de justice sociale ». Ces va-et-vient entre réflexion philosophique
et critique sociale font le prix de cet essai exigeant, même s'il prône une
peu opérationnelle société d'autonomie fondée sur «l'égalisation des conditions
sociales ».
H. G.
Ecrit par Anonyme
le Dimanche 27 Mars 2005, 15:48
dans "Publications"
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