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Dieu ou la nature?

à propos de la religion de Spinoza

« Dieu ne joue pas aux dés » affirme Einstein en réponse à l’interprétation non déterministe de la mécanique quantique. Si on ne veut pas que cette intrusion de Dieu dans une discussion entre physicien apparaisse trop incongrue, il faut prendre au sérieux l’affirmation d’Einstein selon laquelle son Dieu est « le Dieu de Spinoza » c'est-à-dire « Dieu ou la nature ». La formule n’occupe pas une place centrale dans « L’Éthique », elle n’apparaît que furtivement dans la préface de la IVe partie. Mais elle découle de ce qui est affirmé dès les premières définitions de la partie I.

Dieu est la « substance éternelle et infinie » et rien d’autre. Toute interprétation de Dieu comme transcendance est écartée. Le « créateur » et la « création » - si ces mots ont encore un sens chez Spinoza - sont coextensifs. Sont également réfutées comme produits de l’imagination les formules sur la « volonté de Dieu ». Si on peut parler de liberté de Dieu ou de sa volonté libre, c’est seulement en admettant que la volonté de Dieu s’exprime dans les lois de la nature – qui sont les lois de la nature divine. Mais ce n’est qu’une façon de parler car « ni l’entendement ni la volonté n’appartiennent à la nature de Dieu ».

L’ordre de la nature est celui d’une nécessité radicale. « Une chose qui est déterminée par Dieu à produire quelque effet, ne peut se rendre elle-même indéterminée. » La formule d’Einstein pourrait être une traduction approximative de cette proposition XXVII de la partie I. Et on y ajoutera la XXIX : « Dans la nature des choses, il n’est rien donné de contingent ; mais toutes choses sont déterminées par la nécessité de la nature divine à exister et à produire un effet d’une certaine façon. »

Faut-il déduire que le spinozisme est un panthéisme ? À l’évidence non. Le panthéisme suppose une forme de religion de la nature dont on ne trouve aucune trace dans le rationalisme de Spinoza. S’il est quelque chose qui mérite notre admiration et notre émerveillement, c’est la capacité de la raison à comprendre l’ordre naturel. Cette capacité qui nous remplit de joie, selon Spinoza. Ici Einstein a une position sensiblement différente : le sentiment religieux cosmique naît d’un mystère : « ce qui est incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible ». Ce qui nous met en garde contre des parallèles trop hâtifs entre les deux grands penseurs.

Denis Collin

 

Ecrit par dcollin le Mercredi 16 Mars 2005, 15:08 dans "Spinoza, spinozisme" Lu 12338 fois. Version imprimable

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Commentaires

spinoza athée ?

djhaidgh - le 08-09-05 à 23:22 - #

Ce n'est pas écrit dans ce texte. Mais la négation du panthéisme nous invite à considérer que Spinoza aurait pu être athée.<br />je crois qu'on aimerait tous le croire, mais il ne faut pas se voiler la face : à l'époque, rare sont les intellectuels ayant fait le choix de l'athéisme. En ce qui concerne Spinoza, effectivement, et vous le soulignez, au niveau théorique, ses écrits ne laissent aucune place à une quelconque forme de mysticisme. Mais il y a cependant une forme d'amour de la connaissance qui, pour ne pas être postulée théoriquement, est pourtant apparemment vécue par Spinoza d'une façon presque mystique.<br /><br />Djhaidgh, mon site Philo-analysis sur :<br />http://felsefe.chez.tiscali.fr/index.htm<br />


Panthéisme

Henrique Diaz - le 14-10-05 à 17:50 - #

D'accord pour éviter un parallèle trop rapide entre Spinoza et Einstein, en ce qui concerne notamment le statut du mystère. Einstein pensait partager les intuitions fondamentales de Spinoza mais était finalement physicien plutôt que philosophe et n'a donc pas forcément fait preuve de la même rigueur que Spinoza dans l'exploration de ces intuitions.

Cela dit refuser le terme de panthéisme à Spinoza du fait qu'il n'a pas développé une "religion de la nature" est un peu rapide.

D'abord il y a chez Spinoza une religion naturelle, distincte de la religion révélée réservée aux ignorants : "Quant au moyen d'unir les hommes par l'amour, je le trouve surtout dans les actions qui se rapportent à la religion ou à la piété (voyez sur ce point les Schol. 1 et 2 de la Propos. 37, et le Schol. de la Propos. 46, ainsi que le Schol. de la Propos. 73, part. 4)." (Ethique IV, appendice XV)

Scol. 1 de la prop. 37 : "Tout désir, toute action dont nous sommes nous-mêmes la cause en tant que nous avons l'idée de Dieu, je les rapporte à la religion."

L'objet sur lequel se fonde la connaissance et l'action rationnelles que le spinozisme se propose de construire reste le Dieu de la première partie de l'Ethique. Ce Dieu n'est pas "choisi" comme une option parmi d'autres par Spinoza. La démarche rationnelle exclut cette illusion du choix. Dans les preuves qu'il apporte concernant l'existence de Dieu en Ethique I, 11, Spinoza affirme clairement qu'un monde uniquement constitué d'êtres finis, ou qui ne serait encore que la somme (magiquement) infinie des êtres finis est inconcevable. Poser l'existence d'un être absolument infini lui apparaît aussi nécessaire que d'affirmer que la somme des angles d'un triangle fait deux droits. Et dire qu'il y a un être absolument infini, c'est dire qu'il existe un "ens realissimum" comme disaient les scolastiques auxquel Spinoza doit beaucoup tout comme Descartes.

Or que signifie le terme de panthéisme ? Si on le réduit à une sorte d'adoration effusive vis-à-vis du milieu naturel environnant, on est effectivement bien loin du spinozisme. Mais le terme signifie étymologiquement "Tout-Dieu", il a d'ailleurs été inventé par un philosophe disciple de Spinoza, Tolland, et signifie donc primitivement "affirmation que Dieu est la totalité de ce qui existe". Affirmation opposée aux théismes traditionnels qui conçoivent un Créateur transcendant sa création. Or que nous dit le spinozisme si ce n'est qu'il n'existe qu'une seule substance, cet être absolument infini, que rien n'existe en dehors d'elle et donc que tout ce que nous connaissons à titre d'êtres singuliers n'est qu'expression de cette substance un peu comme un geste de la main est l'expression d'un corps vivant ?