Philosophie et politique

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Comprendre Marx

Dans son dernier ouvrage, Comprendre Marx (Paris, A. Colin, 2006, 256 p.), Denis Collin se propose de nous expliquer le travail de Marx, c’est-à-dire de nous déployer sa démarche philosophique afin de la ressaisir par les textes mêmes, en dehors de ce qu’en ont fait les mouvements marxistes postérieurs. C’est pourquoi il parle des concepts « marxiens » et non pas « marxistes ». Il retrace les avancées, les hésitations et les transformations sur les grands concepts comme l’aliénation, le matérialisme, la plus-value, la baisse tendancielle du taux de profit, la lutte de classes, l’Etat, en suivant l’ordre chronologique de rédaction des textes.

 

Ce travail archéologique est complexe car il faut distinguer les textes aboutis et publiés des textes simplement manuscrits, mais aussi des textes complétés par Engels et les successeurs de Marx pour les derniers livres du Capital. Cependant, D. Collin est très précis et démontre que Marx est avant tout un chercheur et non un philosophe à système, encore moins un idéologue approximatif. Marx lit et relit les philosophes (Aristote, Spinoza, Locke, Hegel, Feuerbach, etc.) et ne cesse de penser par eux et contre eux, et contre lui-même également.

Ainsi, ses ruptures et ses retours avec l’hégélianisme – notamment sur l’aliénation et sur la philosophie de l’histoire – nous sont-ils détaillés avec soin. La vision dichotomique de l’oeuvre – d’un côté le philosophe, de l’autre l’économiste – est rectifiée : le Capital n’est pas l’exposé d’une nouvelle science économique, mais reste une critique philosophique de l’économie politique de l’époque. D. Collin repousse la lecture althussérienne à laquelle il préfère les leçons de Michel Henry et de quelques commentateurs italiens actuels.

On découvre par là des aspects souvent relégués au second plan par la plupart des vulgarisateurs du marxisme. En voici trois exemples : 1 – Marx est nominaliste : il fait la chasse aux universaux trompeurs et inutiles, pour partir de la réalité concrète des individus vivants (p. 56-61) ; 2 – Le matérialisme de Marx n’est pas un naturalisme, mais il consiste avant tout à refuser une existence autonome aux réalités de raison que sont la société, l’Etat, les classes sociales, pour partir des réalités simples, c’est-à-dire des individus vivants (p. 94) ; 3 – Les réalités premières, pour Marx, ce ne sont pas les réalités collectives (famille, corporation, classe sociale), mais c’est bien l’individu ouvrier dans son rapport avec les autres ouvriers et dans son conflit avec le capitaliste (p. 168), et Denis Collin insiste : le communisme de Marx est individualiste et son centre n’est pas l’égalité mais la liberté (p. 235). « L’individualisme de Marx », voilà une notion inaperçue qui pourrait relancer une nouvelle lecture des textes.

A la fin de son exposé, D. Collin n’hésite pas à montrer les insuffisances de l’œuvre marxienne, ses manques, voire ses contradictions (notamment sur la théorie de l’Etat). C’est pourquoi, à la lumière de l’histoire récente, on comprend que si cette œuvre vaut encore pour comprendre la vie économique de notre monde, sa partie politique était trop faible pour guider véritablement ceux qui s’en sont inspirés pour faire la révolution.

Cet ouvrage destiné au public étudiant est la preuve qu’on peut transmettre un savoir précis sur Marx, dégagé des polémiques partisanes, mais qui, sans être tiède, reste exigeant sur le vocabulaire.

Jean-Marie Nicolle

 

(source: http://philosophie.ac-rouen.fr/kiosque/Note_DCollin.htm )

 

Ecrit par Jean-Marie Nicolle le Jeudi 18 Octobre 2007, 15:40 dans "Bibliothèque" Lu 7225 fois. Version imprimable

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Commentaires

l'actualité de Marx

LEMOINE - le 09-11-07 à 16:43 - #

Oui, il faut lire Marx, replongeons nous dans son « 18 brumaire » !!
 
L’actualité ironique du texte apparaît dès la préface d’Engels de 1869 où on lit que Marx montre « comment la lutte des classes en France créa des circonstances et une situation telles qu’elle permit à un personnage médiocre et grotesque de faire figure de héros ». Le personnage est-il Sarkozy ou Louis Bonaparte ? Les circonstances sont-elles celles de 1848 ou celles de 2007 ? 
 
Car nous vivons des circonstances étonnamment semblables !
-         forces politiques du mouvement populaire affaiblies et divisées
-         mutations économiques et symboliques d’ampleur
-         crise récurrente de la démocratie et des institutions
 
Dans sa préface à la réédition de 1885, Engels rappelle l’intérêt théorique de l’ouvrage qui illustre « la loi d’après laquelle toutes les luttes historiques, qu’elles soient menées sur le terrain politique, religieux, philosophique ou dans tout autre domaine idéologique, ne sont, en fait, que l’expression plus ou moins nette des luttes sociales, loi en vertu de laquelle l’existence de ces classes, et par conséquent aussi leurs collisions sont, à leur tour, conditionnées par le degré de développement de leur situation économique, par leur mode de production et leur mode d’échange, qui dérive lui-même du précédent. »
 
Marx dit que lorsque l’histoire se répète c’est « la première fois comme tragédie, la seconde comme farce ». Avec Sarkozy, nous avons une répétition mais inversée. Il ne s’agit pas de refaire Mai 68 mais de le défaire. Nous avons la rupture et un Grenelle, mais quelle rupture et quel Grenelle ! Nous avons aussi les « conjurations des morts de l’histoire » Jaurès et Guy Moquet !
 
La répétition, qu’elle veuille faire ou défaire, n’est pas fatalité métaphysique mais manifestation des pesanteurs idéologiques, comme le rappelle Marx : « la tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants ».
 
« La résurrection des morts », cette fois, ne sert pas à « magnifier les nouvelles luttes » mais à conjurer le spectre des anciennes. La rupture n’a pas « besoin de réminiscences antérieures pour se dissimuler….son propre contenu », ce sont les « réminiscences antérieures » qu’il faut hypostasier pour permettre la rupture !
 
Tout commence avec « un coup de main réussi contre l’ancienne société ». La révolution de 1848 pour Marx ; la victoire du NON au référendum du 29 mai 2005 pour nous, également « escamotée par le tour de passe-passe d’un tricheur ». Là encore le « coup de main » d’un politicien retors répond au « coup de tête » du peuple. Mais, écrit Marx, « la période intermédiaire ne s’est pas déroulée en vain ». Il ne s’agit donc pas de déplorer mais de comprendre car la société n’est pas « revenue à son point de départ. En réalité, c’est maintenant seulement qu’elle doit se créer son point de départ révolutionnaire, c’est-à-dire la situation, les rapports, les conditions qui, seuls permettent une révolution sociale sérieuse. »
 
Il faut donc lire Marx attentivement, à la lumière des événements du présent !
 


simple remarque

Langlois - le 24-02-08 à 16:13 - #

« La Constitution avait fixé le traitement de Bonaparte à six cent mille francs. Six mois à peine après son instatllation, il parvint à faire doubler cette somme. »
                                                          Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte  chap. V
Sarkozy fit mieux :  plus vite, et plus fort. On n'a pas fini de trouver des analogies, la vulgarité n'étant pas des moindres (les Rolex de Sarko étant à mettre sur le même plan que les volaille froide et saucisson à l'ail de badinguet. Quant à Montijo... Il faut effectivement relire Marx à la lumière de l'histoire en train de se faire, et réciproquement.